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Que peut apporter l’école ?
Aider votre enfant à s'épanouir, n’est pas le faire passer en premier.
par D. L. Mayfield
vendredi, le 2 avril 2021
JE SAIS QUE TOUS les parents le disent de la leur, mais c'est vrai : ma fille est brillante. À quatre ans, elle savait déjà lire ; elle a toujours fait preuve d’une grande sensibilité au point d’être parfois sujette à l’anxiété. Quand on lui raconte une histoire, son esprit a toujours quelques longueurs d'avance sur la suite. Lorsqu'elle s'est inscrite au programme destiné aux élèves surdoués et brillants de son école, nous n'avons pas été vraiment surpris.
J'ai passé pratiquement toute ma scolarité en école à la maison, et j'ai donc été très intriguée par tout le processus. Cela m’a interrogée sur mes valeurs en matière d'éducation – pas seulement par rapport à ma fille, mais à notre pays dans son ensemble. Selon les directives fédérales, toutes les écoles publiques doivent fournir les ressources nécessaires à identifier et soutenir les élèves « surdoués ». L'hypothèse de base c’est que les élèves surdoués sont brillants, et qu'ils méritent des classes plus exigeantes et engagées. Or, ce n'est pas toujours le cas. Comme nous l'a expliqué l'enseignante de deuxième année de ma fille, élèves « brillants » et « surdoués » ne sont pas les mêmes – les premiers ont tendance à être très performants, tandis que les seconds ont souvent une scolarité difficile.
La douance, comme certains éducateurs en enseignent la définition, c’est vraiment un problème de développement asynchrone : le cerveau d'un enfant doué pourra comprendre et résoudre des problèmes mathématiques complexes, mais socialement, il ne captera pas les signaux non verbaux et ses camarades l'excluront de leurs jeux. On est aussi en train de prendre conscience de ceci : des capacités d'apprentissage exceptionnelles vont de pair avec un certain nombre de troubles : hyperactivité, trouble obsessionnel-compulsif, entre autres – ces élèves sont donc appelés des élèves en double difficulté.
Que voulais-je réellement que mon enfant surdouée retire de ses études ?
Ici, aux États-Unis, où l'éducation est considérée à la fois comme un droit et une compétition, je trouve que la tension entre amour du prochain et défense d’intérêt de ses propres enfants se retrouve dans les programmes pour surdoués. J'ai commencé à poser des questions : qui est identifié comme surdoué ? Quelles écoles finissent par obtenir ces si convoitées ressources supplémentaires ? Et que voulais-je que mon enfant surdouée retire de l'école ?
À mon avis, on devrait se poser cette dernière question bien plus souvent. Voici comment je définirais une « bonne » école : elle permet aux élèves de se sentir en sécurité et réellement pris en charge ; elle sert tous ses élèves de la même façon et leur transmet à tous une grande curiosité du monde – la clé d'une vie d'apprentissage. Pour d'autres, la réponse pourrait inclure de remettre en question les études ; avoir envie de devenir de meilleurs citoyens ou se préparer à entreprendre des activités professionnelles gratifiantes.
Et pourtant, ce n'est pas ainsi que sont évaluées et classées les écoles. Dans mon milieu en tous cas, les gens se renseignent souvent sur les écoles publiques locales, ils consultent des sites Web qui classent les établissements en fonction de leurs résultats aux tests normalisés. Ces scores reflètent-ils l'intelligence sociale et émotionnelle des élèves, leur participation à la communauté et leur impact sur elle, ou l’acquisition d’une culture de l’attention à l’autre ? Ce n'est pas le cas, et ces évaluations ne se fondent pas non plus sur le témoignage des enseignants, des élèves et des parents, alors qu’ils sont sans doute les meilleurs experts de l’état de l'école.
Comme l'ont proposé les éducateurs, prendre des mesures qui reflètent mieux nos vraies valeurs (notamment l'environnement de l'enseignement, l'engagement civique, l'affectation des ressources et les progrès scolaires) pourrait nous aider à identifier les écoles qui fonctionnent vraiment au bénéfice de chaque enfant de la collectivité.
Lorsque Jack Schneider, auteur de Beyond Test Scores (« Au-delà des tests d'évaluation »), fut tellement contrarié de voir si mal classée son école de quartier, il a entrepris des recherches pour en comprendre les raisons. Schneider souligne que, dès qu’on a commencé à considérer l'éducation comme un bien privé plutôt que public, a commencé une course à la meilleure éducation. En économie, c'est ce qu'on appelle un bien positionnel – votre éducation n’a de valeur qu’en proportion de sa supériorité sur celle d'un autre. Voilà qui décourage par suite d'investir des ressources dans les écoles moins performantes, tandis que croissent et embellissent ségrégation et inégalité
Schneider then explores measures of success that can’t always be tested. Together with other researchers, educators, and scholars, he is working to change how schools in his state of Massachusetts are analyzed – including how staff, students, and community members view their school as an important part of assessment. In a sense, Schneider and others are advocating that these actual stakeholders know best how a school is serving the community. This type of analysis takes more work, but I believe it is the right step toward ensuring that all schools are places of flourishing for all children.
Le classement des écoles jugées bonnes ou mauvaises, défaillantes ou attractives, a provoqué de grands bouleversements dans des quartiers entiers. Les gens aisés s'installent dans les quartiers dotés des « bonnes » écoles, provoquant une hausse des prix de l’immobilier qui interdit aux familles à faible revenu d'y habiter. Dans un système si inégal, cette liberté de choix crée des concentrations de familles à faible revenu, dont les écoles se retrouvent souvent dotées de moins en moins de ressource.
L'OBJECTIF N'EST-IL PAS que chaque enfant s'épanouisse ? Le Ministère de l'éducation des États-Unis affiche l’ambition de « promouvoir la réussite des élèves ... encourageant une éducation d’excellence tout en assurant l'égalité d'accès ». Mais comme je l'ai constaté dans mon propre État (Oregon), ce n'est pas le cas. La discrimination fondée sur la race ou le revenu est contraire à la loi, et pourtant les parents ayant réussi leur ascension sociale ont trouvé moyen de pervertir le système en leur faveur, souvent sous prétexte de chercher le meilleur pour leurs propres enfants. Notre culture chrétienne encourage souvent les gens à placer leur famille en tête de leurs priorités, et cette pratique est encensée au nom du bon sens. En même temps, c’est au détriment du bien commun. Aux États-Unis, la ségrégation persiste dans nos écoles publiques, en fonction du revenu et de la race : les ressources de notre pays ne sont donc pas réparties équitablement entre nos enfants
Dans les écoles publiques, les programmes en faveur des élèves surdoués illustrent ce plus vaste problème. Notre école élémentaire locale, à la périphérie de Portland, compte 56 % d'élèves hispaniques et 20 % de Blancs. Quatre-vingt-quatorze pour cent des élèves sont éligibles pour prendre leurs repas gratuitement ou à prix réduits, preuve qu'ils vivent près du seuil de pauvreté, voire en dessous. C’est un lieu incroyablement riche de diverses cultures, car on n’y entend pas moins de vingt-sept langues.
Notre école – un peu moins de cinq cents élèves – compte seulement huit enfants éligibles au programme des élèves surdoués, soit moins de 2 % de la population scolaire. La moitié de ces élèves sont blancs. Dans l'ensemble, les taux d'élèves identifiés comme surdoués sont faibles et, bien que le directeur du programme me dise que tout est fait pour apporter plus d'équité dans ces chiffres, ils ne correspondent toujours pas à la composition raciale de l'établissement. Pour la bonne raison que ni les enseignants ni les tests standardisés ne parviennent à identifier la grande variété d'apprenants surdoués, et encore moins ceux d'origines culturelles ou ethniques différentes.
En revanche, les chiffres sont bien différents dans l'un des « meilleurs » districts scolaires de l'État. Une école élémentaire très bien cotée compte 88% de Blancs ; moins de 8% des élèves ont droit à un repas gratuit ou à prix réduit ; et 5% d'entre eux sont éligibles pour bénéficier du programme offert aux élèves surdoués. Dans cette école, les élèves sont-ils intrinsèquement plus intelligents parce qu'ils sont majoritairement Blancs et qu’il y a si peu de pauvres ? Ou doit-on soupçonner autre chose, en l’occurrence ?
Ce genre de disparités touche les élèves partout dans le pays. Dans un article du New York Times sur le programme en faveur des surdoués de Charlottesville (Virginie), des journalistes affirment que ces méthodes ont été instrumentalisées pour réintroduire la ségrégation dans le système scolaire de nombreuses régions du pays. Les statistiques fédérales indiquaient en 1984 que seulement 11% des étudiants blancs de Charlottesville étaient classés surdoués. En 2003, environ un tiers des étudiants blancs remplissaient les critères – et actuellement les élèves blancs de Charlottesville ont six fois plus de chances de suivre des cours avancés que les élèves noirs.
Ce n'est là qu'un exemple de l'incidence de la race sur le système d'éducation publique. Depuis la décision Brown v. Board of Education de 1954, les parents blancs ont pérennisé la ségrégation des écoles, et ce de nombreuses façons. Malheureusement, de nombreux chrétiens s'en sont rendus complices, car écoles chrétiennes privées et mouvements d'enseignement à la maison contribuent directement à un nouveau type de ségrégation – basée non sur une rhétorique ouvertement raciste, mais sur la revendication du droit au choix personnel.
Toutefois, le choix de l'école est également vecteur d'égalité. Comme le souligne Nicole Baker Fulgham dans Educating All God's Children (« Comment éduquer tous les enfants de Dieu ? »), les pasteurs afro-américains, ainsi qu'une proportion croissante du clergé latino-américain et hispanique, ont fait pression en faveur d'alternatives pour les enfants des communautés habituellement peu performantes – soit en fondant leurs propres écoles, soit en exigeant l’attribution de coupons servant à financer leur accès aux écoles privées et sous contrat. Bien qu'elle reconnaisse que, certes, les chrétiens des quartiers à majorité non blanche se sont souvent battus pour la justice dans le système scolaire, Mme Baker signale qu'elle n'a pas encore constaté une impulsion coordonnée et de grande envergure en faveur de la justice pédagogique à l’égard de tous les enfants.
Dans l'ensemble, il est peut-être temps de prendre en compte l'impact de la priorisation du choix de l'école, qui, de façon écrasante, profite aux privilégiés. À cause de cette approche de l'éducation alignée sur l'économie de marché, les écoles locales constatent une plus forte concentration d'enfants à faible revenu. Cela revient à réintroduire dans le système une nouvelle forme de ségrégation.
Les chrétiens se doivent de trouver la juste attitude par rapport à leurs choix éducatifs ; quelle est-elle ? Ce n'est pas simple, et je pense souvent à ce que Paul essayait de faire passer dans son épître aux Galates : c'est pour la liberté que le Christ nous a rendus libres. « Car vous avez été appelés à la liberté, mes frères. N'utilisez pas votre liberté comme une opportunité pour la chair mais, par amour, servez-vous les uns les autres. Car toute la Loi se résume en ces quelques mots : ‘Tu aimeras ton prochain comme toi-même’ » (5.1, 13-14). Paul, observateur avisé de l'humanité, prévoyait que la primauté de la liberté pousse parfois notre nature égoïste à rechercher le meilleur pour nous-mêmes, et oublier dans la foulée notre responsabilité envers le prochain.
Comment aimer et éduquer nos précieux enfants, si uniques et intelligents, dans un monde où les indicateurs extérieurs de réussite et la peur de manquer gouvernent souvent nos décisions ? Ma famille n'a pas encore trouvé la réponse. Je suis toujours étonnée de constater avec quelle facilité on endosse la mentalité du « je-veux-le-mieux-pour-mon enfant », même si parfois c'est aux dépens d’autrui.
Ma fille a été détectée surdouée l'année dernière, mais son école n'a guère à offrir qui puisse contribuer à l'épanouissement de ce type d’enfants. L'an dernier, l’existence de cours adaptés a tenu à la bonne volonté d'un enseignant à se passer de déjeuner une fois par semaine. Cette année, aucune réunion ad hoc pour l’instant, aucun travail supplémentaire, à peine un vague plan d'action se résumant à encourager ma fille à élargir la palette de ses lectures. Je suis mère, et je me sens déchirée, tant je suis anxieuse de voir ses capacités exploitées au mieux. Néanmoins, j'en suis venue progressivement à interroger mes peurs et motivations. Dans le milieu sous-payé et en sous-effectif des écoles en bas du classement, réclamer plus de ressources au bénéfice de moins de 2% de la population me semble immoral – ou, du moins, faire partie du problème.
Je suis toujours étonnée de constater avec quelle facilité on endosse la mentalité du « je-veux-le-mieux-pour-mon enfant », même si parfois c'est aux dépens d’autrui.
En collaboration avec d'autres parents et enseignants, nous continuons plutôt à générer des ressources qui profiteront au plus grand nombre : réinstaurer le Salon du livre scolaire ; faire participer les enfants à un programme local de lecture ; et nous avons demandé que devant l'école soit peinte une fresque célébrant la diversité et la joie qui règnent à l'intérieur. Récemment, s'est formé un groupe de parents leaders, et ces parents d'horizons très divers élèvent la voix pour exiger des améliorations – dont de plus nombreuses activités scolaires qui stimulent fortement leurs enfants. Ensemble, nous veillons à ce que l'école continue d'œuvrer dans l'intérêt de tous – car c'est toujours ce qui se passe dès qu'on favorise intégration raciale et socio-économique.
On ne saurait surestimer à quel point le désir de réussir façonne notre société. Or, au final, on obtient toujours le même résultat : les ressources sont accaparées, arrachées à d'autres, et ainsi prospère la ségrégation. Aujourd'hui plus que jamais, les écoles à fort taux de pauvreté sont laissées pour compte au profit de celles obtenant de meilleurs résultats aux tests. Et nous avons tous un rôle à jouer à cet égard. Nous les croyants, recherchons-nous le mieux pour nos enfants ? Ou quand Paul dit, « la connaissance rend orgueilleux, tandis que l’amour fait œuvre constructive », le prenons-nous au sérieux ?
Ma fille adore son école. Son caractère – ce qui fait l’essentiel de sa personnalité – se construit non seulement grâce à ses camarades de classe (dont bon nombre sont des réfugiés et des immigrants issus de pays qui font constamment les manchettes des journaux), mais aussi grâce aux enseignants, au personnel, aux parents et aux membres de la société civile. Contrairement à moi, ma fille grandit en apprenant comment surmonter les véritables différences de religion, de culture, de race et d'éducation, et elle a reçu le don de faire partie de la minorité (ce qui pourrait lui être utile à l'avenir, à mesure que les États-Unis se diversifieront davantage).
En outre, notre école locale, qui, à certains égards, semble manquer de ressources ou de filières pour élèves surdoués, a réussi un exploit bien plus remarquable : c'est un sanctuaire, l'un des rares espaces de notre ville et de notre communauté à s'engager à aider tout le monde, quelle que soit la situation de chacun. Quand j'en franchis les portes, j'ai parfois l'impression d'entrer dans un espace sacré ; c'est l'un des rares endroits où j'ai vu un enfant bien accueilli – quelle que soient son identité ethnique et socio-économique et ses capacités cognitives ou physiques. Cet endroit reflète ce que Jésus nous dit du royaume de Dieu – où les gens que notre société ignore sont traités comme de précieuses bénédictions..
Je pense à ma fille, ainsi qu’à moi-même, à la lumière de mots comme « don » ou « talent » et je vois combien ils me font sombrer dans l'individualisme, la peur, et le désir d’avoir ce qui se fait de mieux. C'est la poursuite de ce genre de connaissance qui « rend orgueilleux », comme dit Paul – nous éloigne de nos voisins et nous pousse au mal et à l'inégalité. C'est pourquoi j’approuve les experts qui disent qu’on comprend mieux la douance si l'on voit qu’il s’agit d’un développement asynchrone – où certaines parties de notre esprit, voire même notre intelligence socio-émotionnelle, se développent plus vite que d'autres. Nous avons tous besoin de grandir dans certains domaines, où nous avons encore des marges de progression. Notre quête pour mieux aimer Dieu en aimant notre prochain se trouve souvent entravée – autant par peur et égoïsme qu’idolâtrie de la réussite.
En fin de compte, je ne veux pas pour ma fille « le meilleur », du moins tel que défini par notre société. Je veux le meilleur pour tous les enfants de Dieu, et c'est pourquoi je continue d’œuvrer à l’avènement du jour où nous orienterons nos politiques en conséquence, et choisirons d’allouer des ressources aux domaines délibérément ignorés jusqu’ici. Une authentique éducation se construit – et cela commence toujours par le bas, parce que c'est là que nous apprenons à aimer nos voisins et à recevoir leur amour.