En 1844, dans un champ à l'extérieur de la ville de Northampton, Massachusetts, USA, une bande de jeunes hommes se présenta à une réunion de réveil, où ils firent du grabuge. Les organisateurs de la réunion se mirent en colère ; les hommes – plus de 100 – ont redoublé d'ardeur. L'une des participantes à la réunion, une femme de 47 ans, s'est cachée derrière un coffre dans le coin de la tente : « Je suis la seule personne de couleur ici, pensa-t-elle, et c'est à tous les coups sur moi qu'ils vont déchaîner leur méchanceté, et peut-être vais-je mourir ».

Les jeunes hommes se mirent à secouer les mâts de la tente. Et elle se dit en elle-même :

« Dois-je m'enfuir et me cacher du diable ? Moi, une servante du Dieu vivant ? N'ai-je pas assez de foi pour aller mater cette bande ? » Elle essaya, sans succès, de convaincre un couple d'amis d'affronter ces hommes avec elle. Elle sortit donc seule de la tente, et, à  la lumière de la pleine lune, elle gravit une colline voisine et se mit à chanter.

Sojourner Truth a toujours été une chanteuse puissante.

Ce qui attire l'attention des vandales. Et après quelques minutes de conversation, elle réussit à les convaincre de partir.
Née Isabella Baumfree, elle et sa famille étaient esclaves à Rifton, un hameau du nord de l'État de New York. Elle se souvenait que sa mère lui enseignait le Notre Père en néerlandais, sa langue maternelle. À neuf ans, elle fut vendue, en même temps qu'un troupeau de moutons, et emmenée loin de sa famille. À 18 ans, elle tomba amoureuse de Robert, qui appartenait à un voisin de son négrier, John Dumont ; ils eurent un fils, James, qui mourut peu après sa naissance. Cette relation ne convenait pas au propriétaire de Robert, et elle fut contrainte plus tard d'épouser l'un des esclaves de Dumont, Thomas ; tous leurs enfants appartiendront alors à Dumont. Elle eut quatre autres enfants, qui survécurent. Diana était la fille de Dumont, qui l'avait violée ; avec Thomas, elle a eu Peter, Elizabeth et Sophia.

Jason Landsel, Sojourner Truth. Image reproduite avec l'aimable permission de Jason Landsel

Dans l'État de new york les temps de l'esclavage touchaient à leur fin. Postérieurement au 4 juillet 1827, toutes les personnes asservies de l'État seraient libres. Comme Dumont avait un an plus tôt renié sa promesse de libérer Isabella, celle-ci s'était échappée, emmenant avec elle Sophia, encore bébé ce jour-là. Elle trouva un emploi auprès d'un couple de quakers, M. et Mme Van Wagenen, à New Paltz, dans l'État de New York, tout proche.

« Je n'ai pas d'argent, mais Dieu en a suffisamment ! Et j'aurai de nouveau mon enfant. » —Sojourner Truth 

Elle avait, comme elle l'a raconté plus tard à sa biographe, Olive Gilbert, l'habitude de présenter ses plaintes à Dieu, en troquant sa bonne conduite contre la réalisation de ses requêtes. Mais une fois chez les Van Wagenen, elle perdit cette habitude de prier. Un jour, cependant, elle vécut la première d'une série d'expériences remarquables. Dieu, dit-elle, lui montra, « en un clin d'œil, qu'il était partout – Oh, mon Dieu, se souvient-elle s'être écrié à haute voix, je ne savais pas que tu étais si grand ». Elle prit aussi conscience de son propre péché. Comment avait-elle osé négocier avec lui ? Selon les mots de son biographe, « Elle se mit à souhaiter que quelqu'un intercède en sa faveur auprès de Dieu... Finalement, se présenta un ami qui acceptait de s'interposer entre elle et une divinité insultée. C'était une vision qui « s'est précisée pour prendre une forme distincte, rayonnante de beauté, de sainteté et d'amour ». Elle s'adressa à elle à haute voix. « Je te connais et pourtant j'ai l'impression de ne pas te connaître. Qui es-tu ? » Toute son âme, comme elle le décrivit, « était plongée dans une prière profonde... Une réponse lui vint... C'est Jésus ».

Réponse inattendue. Elle avait bien « entendu parler de Jésus... mais en avait conclu qu'il n'était rien de plus qu'une éminente personnalité, de la pointure d'un Washington ou d'un Lafayette. Maintenant, il lui était apparu... Et Dieu n'était plus  un motif de terreur et de crainte ».

Cette expérience marquante allait demeurer un guide pour le reste de sa vie.

Peu de temps après, elle apprit que Dumont avait vendu illégalement son fils Peter, âgé de cinq ans, dans le sud de l'Alabama. Elle retourna chez Dumont, où elle confronta sa femme. « Ne vous reste-t-il pas assez de mioches à vous occuper, vous qui avez si peu de moyens ? » lui demanda son ancienne maîtresse. « Je n'ai certes pas d'argent, rétorqua-t-elle, mais Dieu en a suffisamment... Et je tiens à récupérer mon enfant ».

« À ce moment-là, je me sentais si forte intérieurement !, confia-t-elle ; J'avais l'impression que la puissance de toute une nation me soutenait ! » Elle finit par trouver Peter et poursuivit en justice l'homme qui l'avait acheté. Et elle gagna le procès : la première femme noire à gagner une bataille juridique contre un homme blanc de toute l'histoire des États-Unis.

Elle était libre. Et, après le 4 juillet de cette année-là, tous ses enfants l'étaient aussi. Mais beaucoup d'autres ne l'étaient pas encore. Et là où il n'y avait pas d'esclavage, on pratiquait l'esclavage salarié. Elle se sentit appelée à voyager, à parler du besoin d'une véritable fraternité en Christ, et « témoigner de la grande espérance qu'elle portait en elle ». Et elle prit un nouveau nom : Sojourner.

Ses voyages la menèrent vers le nord ; elle rejoignit une communauté intentionnelle dans le Massachusetts, où elle rencontra les luminaires du mouvement abolitionniste d'avant la guerre : William Lloyd Garrison, Frederick Douglass et d'autres.

Sojourner Truth vécut jusqu'en 1883, plaidant et militant pour l'abolition, puis pour les droits des femmes et l'abolition de la peine capitale. Jusqu'à la fin de ses jours, une foi personnelle farouche dans le Christ lui a donné de la force et a guidé sa lutte pour faire advenir un ordre social plus humain.

Elle mourut le 26 novembre 1883. Elle est enterrée avec sa famille à Battle Creek, dans le Michigan.

« Je ne sais pas lire, expliqua-t-elle dans un discours prononcé en mai 1851, mais je peux entendre. J'ai entendu la Bible et j'ai appris qu'Ève a fait pécher l'homme. Si la femme a bouleversé le monde, donnez-lui une chance de le remettre sur le droit chemin. Jésus... n'a jamais méprisé une femme... Quand Lazare est mort, Marie et Marthe sont venues à lui avec foi et amour et l'ont supplié de ressusciter leur frère. Jésus pleura – et Lazare sortit de la tombe »


Traduit de l'anglais par Dominique Macabie