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    Le pécheur repenti

    par Léon Tolstoï

    vendredi, le 25 septembre 2015
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    Et il dit à Jésus : « Souviens-toi de moi quand tu seras entré dans ton royaume. » Et Jésus lui dit : « Je te dis en vérité que tu seras aujourd’hui avec moi dans le paradis. » (Luc 23 : 42-43.)

    Dans le monde vivait un homme de soixante-dix ans ; il avait passé sa vie entière à pécher.

    Et cet homme devint malade, et il ne se repentait pas.

    Et quand sa mort fut proche, pendant sa dernière heure, il se prit à pleurer et dit :

    – Seigneur, comme aux larrons sur la croix, pardonne-moi.

    À peine eut-il parlé, qu’il rendit l’âme. Et l’âme aima Dieu, eut foi dans sa miséricorde et vola au seuil du paradis.

    Et le pécheur se mit à frapper, suppliant qu’on ouvrit le royaume du ciel.

    Et il entendit une voix derrière la porte :

    – Qui est cet homme qui frappe à la porte du paradis ? Et comment vivait-il sur la terre ?

    Et la voix de l’accusateur répondit, énumérant tous les péchés de cet homme. Et il ne cita pas une seule action méritoire.

    Et la voix reprit, derrière la porte :

    – Les pécheurs n’entrent pas au royaume de Dieu. Va-t’en d’ici.

    Et l’homme dit :

    – Seigneur, j’entends ta voix, mais je ne vois pas ta face et je ne sais pas ton nom.

    Et la voix répondit :

    – Je suis Pierre l’Apôtre.

    Et le pécheur dit :

    – Aie pitié de moi, Pierre l’Apôtre. Rappelle-toi la faiblesse de l’homme et la miséricorde de Dieu. N’est-ce pas toi qui fus le disciple du Christ ? N’est-ce pas toi qui recueillis sa doctrine de ses propres lèvres ? Et tu as eu l’exemple de sa vie. Rappelle-toi ! Il avait l’âme torturée, et il te demanda, par trois fois, de ne pas dormir et de prier ; et tu t’assoupis, car tes paupières tombaient de sommeil, et par trois fois, il te surprit dormant. Ainsi ai-je fait. Et rappelle-toi encore. Tu lui avais promis, sur le salut de ton âme, de ne le point renier, et par trois fois tu le renias, lorsqu’on le mena devant Caïphe. Ainsi ai-je fait. Et rappelle-toi encore, quand le coq chanta, et que tu sortis en pleurant amèrement. Ainsi ai-je fait. Tu ne peux pas me laisser dehors.

    Et la voix se tut derrière la porte du paradis.

    Au bout d’un instant, le pécheur se remit à frapper, suppliant qu’on lui ouvrît le royaume du ciel.

    Et une autre voix se fit entendre derrière la porte, disant :

    – Qui est cet homme et comment vivait-il sur la terre ? Et de nouveau la voix de l’accusateur répondit, énumérant tous les péchés de cet homme. Et il ne cita pas une seule action méritoire.

    Et la voix reprit, derrière la porte :

    – Va-t’en. Un si grand pécheur ne peut vivre avec nous dans le paradis.

    Et l’homme dit :

    – Seigneur, j’entends ta voix, mais je ne vois pas ta face et je ne sais pas ton nom.

    Et la voix répondit :

    – Je suis le roi prophète David.

    Et le pécheur ne désespéra point. Il ne quitta point la porte du paradis, et dit :

    – Aie pitié de moi, roi David. Rappelle-toi la faiblesse de l’homme et la miséricorde de Dieu. Dieu t’aimait ; il t’avait placé au-dessus des autres hommes. Tu avais tout, un royaume, la gloire, l’or, des favorites et des enfants. Mais dès que tu eus aperçu, du haut de la terrasse, la femme d’un pauvre homme, le péché t’envahit, et tu pris la femme d’Un, et tu le livras lui-même au glaive des Ammonites… Toi, le riche, tu pris au pauvre sa dernière brebis, et tu le fis périr lui-même. Ainsi ai-je fait. Et rappelle-toi encore comment tu te repentis, disant : « Je reconnais ma faute et me repens de mon péché. » Ainsi ai-je fait. Tu ne peux pas me laisser dehors.

    Et la voix se tut derrière la porte.

    Au bout d’un instant, le pécheur se remit à frapper, suppliant qu’on lui ouvrît le royaume du ciel.

    Une troisième voix se fit entendre derrière la porte, disant :

    – Qui est cet homme, et comment vivait-il sur la terre ? Et pour la troisième fois, la voix de l’accusateur répondit, énumérant tous les péchés de cet homme. Et il ne cita pas une seule action méritoire.

    Et la voix reprit, derrière la porte :

    – Va-t’en d’ici. Les pécheurs n’entrent point au royaume du ciel.

    Et l’homme dit :

    – J’entends ta voix, mais je ne vois pas ta face et ne sais pas ton nom.

    Et la voix répondit :

    – Je suis, moi, Jean l’Évangéliste, le disciple préféré du Christ.

    Et le pécheur s’en réjouit, et dit :

    – Maintenant, on ne peut pas me laisser dehors. Pierre et David me laisseront entrer, parce qu’ils savent la faiblesse de l’homme et la miséricorde de Dieu. Et toi, tu me laisseras entrer, parce que tu es plein d’amour. N’est-ce pas toi, Jean l’Évangéliste, qui as écrit dans ton livre : « Dieu, c’est l’amour, et qui n’aime pas ne connaît pas Dieu ? » N’est-ce pas toi qui, dans ta vieillesse, allais répétant : « Frères, aimons-nous les uns les autres ! » Comment me mépriserais-tu, comment me rebuterais-tu, maintenant ? Ou renie ce que tu as dit, ou aime-moi et m’ouvre le royaume du ciel.

    Et la porte s’ouvrit toute grande, et Jean l’Évangéliste serra dans ses bras le pécheur repenti et le laissa entrer au royaume du ciel.

    At the Gates of Heaven (Aux portes du ciel), par William Blake/Wikimedia Commons At the Gates of Heaven (Aux portes du ciel), par William Blake/Wikimedia Commons
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