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    Detail from Study of Clouds with a Sunset near Rome, oil painting on paper by Simon Alexandre-Clément Denis, 1786-1801

    Le pardon dans le mariage

    Demander pardon à son conjoint exige humilité et vulnérabilité.

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    jeudi, le 22 juillet 2021
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    Lorsque des gens me demandent conseil à propos d'un couple en difficulté, je réponds toujours : « Priez et pardonnez. » Et aux jeunes issus de foyers violents, je dis : « Priez et pardonnez. » Et à la mère célibataire, abandonnée et sans ressources, je dis encore : « Priez et pardonnez. » (Mère Teresa)

    Au fil d’un grand nombre d’années de conseil conjugal, j’ai pu constater que si mari et femme ne se demandent pas pardon tous les jours, le mariage peut devenir un véritable enfer. J’ai observé aussi que les problèmes les plus épineux peuvent souvent être résolus par quatre mots tout simples : « Je te demande pardon. »

    Il est toujours difficile de demander pardon à son conjoint ; cela exige humilité et vulnérabilité ainsi que reconnaissance de sa faiblesse et de son échec. Et pourtant, c’est bien là l’une des clés essentielles pour la solidité d’un mariage.

    Dietrich Bonhoeffer, le pasteur allemand qu’Hitler fit exécuter pour son opposition au régime nazi, avait coutume de rappeler aux membres de la petite communauté qu’il avait fondée le besoin de « vivre ensemble dans un esprit de pardon », car sans le pardon, aucun lien humain – et plus particulièrement le mariage – ne peut survivre. Il écrit :

    N’insistez pas sur vos droits, ne rejetez pas la responsabilité sur votre conjoint, ne vous jugez pas les uns les autres, ne vous condamnez pas ; ne cherchez pas la faute chez l’autre, mais plutôt, acceptez-vous tels que vous êtes et du fond du cœur, pardonnez-vous chaque jour.

    En trente-trois ans de mariage, ma femme Verena et moi avons fait maintes expériences qui ont mis à l’épreuve notre volonté de pardonner. La première se présenta une semaine à peine après notre mariage. Nous avions invité mes parents et mes sœurs à dîner dans notre nouvel appartement. Verena avait passé l’après-midi à préparer le repas. Je mis le couvert avec un service en poterie que ma sœur, artiste, avait fait pour nous.

    Ma famille arriva et nous nous étions mis à table quand soudain, les deux bouts de la table s’effondrèrent. Je n’avais pas fixé correctement les rallonges. Nourriture et morceaux de vaisselle en poterie jonchaient le sol. Ma femme, en larmes, quitta précipitamment la pièce. Il lui fallut des heures pour pouvoir me pardonner et pour que nous puissions rire ensemble de ce désastreux épisode qui est, depuis, devenu une histoire classique de notre famille.

    Nous avons eu huit enfants : les occasions de désaccord ne manquaient pas.

    Tous les soirs, Verena donnait les bains, mettait les enfants en pyjama, puis ils devaient m’attendre sur le canapé avec leurs albums préférés. Cependant, quand j’arrivais, ils n’avaient souvent qu’une idée en tête : aller jouer avec moi dans le jardin, et nous nous retrouvions à batifoler dehors. À notre retour, Verena devait recommencer la toilette des enfants, ce qu’elle ne faisait pas sans quelques murmures de protestation bien justifiés.

    La plupart de nos enfants avaient de l’asthme. Quand ils étaient petits, leur respiration rauque et encombrée, leurs quintes de toux nous réveillaient presque chaque nuit, ce qui devint un autre sujet de discorde, particulièrement quand Verena me rappelait que je pouvais tout aussi bien qu’elle me lever pour les aider.

    Et puis, il y avait les disputes au sujet de mon travail. Représentant de notre maison d’édition, je passais beaucoup de temps sur la route. Le secteur qui m’était attribué couvrait tout l’ouest de l’État de New York – Buffalo, Rochester et Syracuse –, ce qui m’emmenait facilement à six ou huit heures de route de chez nous. Plus tard, mon travail devait me mener au Canada, en Europe, en Afrique et même jusqu’en Australie. Auprès de Verena, je justifiais toujours ces déplacements comme étant d’une importance capitale – ce qui n’était pas vraiment une consolation pour elle, qui faisait ma valise puis restait seule avec les enfants.

    Il y avait aussi le New York Times… Après une rude journée au travail, je ne voyais pas quel mal il y avait à lire le journal pendant quelques minutes pendant que les enfants jouaient autour de moi – et c’est ce que je disais à ma femme. Ce n’est que plus tard que je pris conscience qu’il aurait été bon de reconnaître le fait qu’elle aussi venait de passer une journée à travailler. Mais à l’époque, j’avais tendance à me hérisser quand elle me le rappelait.

    Je me demande souvent ce qui serait advenu de notre couple si nous n’avions pas appris, dès le début de notre mariage, à nous pardonner tous les jours. Tant de ménages partagent le même lit, vivent sous le même toit et sont pourtant intérieurement très éloignés l’un de l’autre parce qu’un mur de ressentiment les sépare. Et les pierres qui ont construit ce mur sont parfois bien petites – un anniversaire oublié, un malentendu, une réunion de travail que l’on fait passer avant une sortie en famille attendue depuis longtemps.

    Beaucoup de mariages pourraient être sauvés si les conjoints prenaient conscience de ce qu’ils ne seront jamais parfaits. Les couples s’imaginent trop souvent qu’une bonne entente est celle qui est sans conflit. Mais comme nul ne saurait être à la hauteur d’une telle attente, ils refoulent les véritables sentiments qu’ils éprouvent envers leur conjoint, ou bien, désillusionnés, ils renoncent et se séparent sous prétexte d’« incompatibilité ».

    De par l’imperfection de notre nature humaine, nous faisons des erreurs, nous blessons, sans le vouloir ou intentionnellement. Dans ma vie personnelle, j’ai découvert que la seule solution infaillible est de pardonner, soixante-dix-sept fois s’il le faut. Voici ce qu’écrit C. S. Lewis :

    Pardonner les incessantes provocations de la vie de tous les jours – pardonner, encore et toujours, à la belle-mère autoritaire, au mari brutal, à l’épouse qui harcèle, à la fille égoïste, au fils malhonnête – comment y arriver ? En nous souvenant, me semble-t-il, de ce que nous sommes, en disant avec sincérité les paroles que nous prononçons dans notre prière, chaque soir : « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. »

    L’histoire des parents de ma femme, Hans et Margrit Meier, illustre merveilleusement bien la force du pardon. Hans était un homme volontaire dont l’obstination fut la cause de plus d’une période de séparation dans leur mariage.

    Fervent antimilitariste, Hans fut mis en prison en 1929, quelques mois à peine après leur mariage, pour avoir refusé de rejoindre l’armée suisse. Peu après sa remise en liberté, ils se séparèrent de nouveau : Margrit avait fait connaissance d’une communauté chrétienne et souhaitait en devenir membre, mais Hans ne s’y intéressait pas. Ils venaient d’avoir leur premier enfant et Margrit supplia Hans de les rejoindre, mais il ne cédait pas facilement. Il mit plusieurs mois à se laisser convaincre par sa femme.

    Trente ans et onze enfants plus tard, ils se séparèrent pour la troisième fois, à nouveau pour un différend au sujet de leur communauté. Hans partit pour Buenos Aires, où il vécut pendant les onze années qui suivirent, tandis que Margrit et la plupart de leurs enfants, dont Verena, émigraient au États-Unis.

    Il n’y avait pas de signes extérieurs de rancœur, mais il n’y avait pas non plus de signes d’apaisement dans leur relation. Lentement s’éleva entre eux un mur d’amertume qui menaçait de les séparer à jamais. Quand Verena et moi nous mariâmes en 1966, Hans ne se déplaça même pas.

    En 1972, je me rendis à Buenos Aires avec Andreas, le frère de Verena, dans l’espoir de susciter une sorte de réconciliation, mais Hans ne fut pas réceptif – au début, tout au moins. Tout ce qu’il voulait, c’était raconter sa propre version des faits et nous faire savoir les torts qu’il avait subis. Le dernier jour de notre séjour, cependant, quelque chose changea. Il annonça qu’il viendrait nous voir aux États-Unis, insistant bien sur le fait qu’il prendrait un billet aller-retour et qu’il ne resterait que deux semaines. C’était un début.

    Quand il vint finalement aux États-Unis, nous fûmes déçus. Hans ne pouvait pardonner. Malgré tous nos efforts pour dissiper les malentendus du passé, malgré la reconnaissance de notre part de responsabilité dans les événements qui l’avaient finalement conduit à s’éloigner, nous n’avancions pas. Sur le plan intellectuel, Hans savait bien que la seule chose qui le séparait de sa famille était son incapacité à pardonner, mais il n’arrivait pas à vaincre cet obstacle.

    Les choses prirent une nouvelle tournure un jour, au beau milieu d’une discussion qui ne menait nulle part. Mon oncle Hans-Hermann, qui se mourait d’un cancer du poumon, était sous oxygène, et tout geste ou parole représentait pour lui un effort colossal. Rassemblant le peu de forces qui lui restaient, il se leva et se dirigea vers Hans. « Hans, dit-il en lui touchant la poitrine, c’est de là que doit venir le changement. »

    Hans fut complètement désarmé. Il s’adoucit soudain et sur-le-champ, il prit la décision de pardonner et de retourner à sa femme et ses enfants. Il fit un dernier voyage en Argentine pour régler ses affaires et revint vivre avec eux pour de bon.

    Par bonheur, le lien entre Hans et Margrit n’avait jamais été complètement brisé malgré toutes ces années de séparation. Hans n’avait jamais touché une autre femme et Margrit avait prié tous les jours pour le retour de son mari. Cependant, il leur fallut du temps pour reconstruire leur couple, et la clé de ce travail fut sans aucun doute leur volonté de pardonner. Pour finir, les liens de leur mariage, liens d’amour profond et de joie l’un envers l’autre, furent complètement restaurés. Ils restèrent ensemble jusqu’à la mort de Margrit seize ans plus tard.

    L’histoire de mes beaux-parents nous montre qu’un mariage abîmé par une longue séparation peut être restauré. Mais qu’en est-il de celui brisé par l’adultère ? Peut-il être juste d’attendre de l’époux ou de l’épouse trompé qu’il ou elle rassemble suffisamment de courage pour pardonner et repartir sur de nouvelles bases ?

    Il y a quelque temps, j’ai accompagné Ed et Carol, un ménage dont le mariage était un désastre. Dès avant leur mariage, Ed avait un problème d’alcool qui causa rapidement des tensions dans leur couple. Mais cela mis à part, les choses allaient plutôt bien. Des enfants arrivèrent bientôt, d’abord un garçon, puis une fille. Vu de l’extérieur, on aurait dit un mariage parfait. En fait, Ed et Carol s’éloignaient peu à peu l’un de l’autre. Puis Ed se mit à tromper sa femme avec une voisine.

    Ed et Carol rejoignirent notre église quelques années plus tard et c’est à peu près à cette époque qu’il avoua sa liaison d’abord à sa femme, puis à moi-même. Il expliqua plus tard que sa conscience le tourmentait et qu’il ne supportait plus de porter en lui ce lourd secret tout en faisant comme si tout allait pour le mieux.

    Carol fut consternée. Elle sentait bien que quelque chose n’allait pas, mais jamais elle n’eût imaginé une telle tromperie. Hors d’elle, elle déclara à Ed que leur mariage était terminé et qu’elle ne lui pardonnerait jamais.

    Je comprenais bien la colère de Carol, mais j’avais aussi le sentiment que cette première réaction – « jamais je ne te pardonnerai » – révélait non pas d’abord sa difficulté à pardonner à son mari mais plutôt un désir de justice, ou la volonté de prendre sa revanche. J’étais sûr qu’au plus profond de son cœur, ce qu’elle désirait par-dessus tout était une relation saine avec l’homme qu’elle aimait, le père de ses enfants. Mais parce qu’elle se sentait vraiment bafouée – il y avait d’abord eu son problème d’alcool, puis son infidélité –, elle ne pouvait surmonter son indignation. Pour l’heure, elle n’envisageait pas d’accorder à Ed une autre chance – que selon elle, il ne méritait pas.

    Il m’apparut clairement que tous deux avaient d’abord besoin de temps pour travailler, chacun de son côté, à ses propres difficultés. Ils n’étaient en effet plus en mesure, pour l’heure, de vivre ensemble, et il n’y aurait pas de solution rapide. Il fallait que leur relation se reconstruise entièrement – ce serait là un processus long et douloureux. D’autre part, il me semblait qu’une séparation temporaire permettrait à chacun de voir l’autre d’une manière plus objective, avec un regard neuf en quelque sorte, voire de redécouvrir l’amour qu’ils avaient un jour éprouvé l’un pour l’autre.

    Ainsi, Ed et Carol se séparèrent et je les accompagnai séparément pendant quelques mois. Ed avait besoin qu’on l’aide à mesurer la gravité de son infidélité – et il semblait réellement désireux de le faire – tandis que Carol avait besoin qu’on l’aide à voir que tant qu’elle ne pardonnait pas, ses blessures ne cicatriseraient pas. Elle reconnaissait elle-même qu’après avoir appris l’infidélité de son mari, ce qu’elle avait redouté le plus, c’était qu’il la quitte pour de bon. Elle devrait par conséquent faire clairement comprendre à Ed qu’elle désirait reprendre leur vie commune.

    Plus tard, Carol souhaita qu’ils se remettent à communiquer par téléphone. Leurs conversations se firent peu à peu plus longues et plus détendues, jusqu’au jour où ils se sentirent prêts à se revoir. Carol avait encore des hauts et des bas, mais elle sentait progressivement renaître en elle le désir d’essayer de vivre ensemble à nouveau. Elle le voulait pour ses enfants, qui étaient restés avec elle après le départ d’Ed, mais elle le voulait aussi pour elle-même. Qui plus est, elle admit qu’elle avait sa part de culpabilité dans l’infidélité de son mari, que lui seul ne portait pas l’entière responsabilité de leur séparation. Quant à Ed, prouvant sa bonne volonté notamment en cessant de boire, il assura à Carol qu’il ferait tout pour sauver leur mariage.

    Au bout de dix mois, Ed et Carol reprirent leur vie commune. Au cours d’une cérémonie pour célébrer leur nouveau départ, ils se pardonnèrent mutuellement devant l’assemblée et consacrèrent à nouveau leur mariage. Puis, rayonnants, ils échangèrent de nouvelles alliances.

    Dans une société comme la nôtre, où un couple marié sur deux divorce, il est tentant de condamner ceux qui ne restent pas ensemble. Nul n’a le droit de juger mais, en tant que témoin du pouvoir de guérison du pardon chez des dizaines de couples, y compris dans un ménage brisé comme l’était celui d’Ed et Carol, je ne peux m’empêcher de penser – et d’espérer – que des milliers d’autres foyers pourraient aussi être sauvés.

    impressionist painting by Henri Martin of a couple holding hands under a tree
    Presenté par JohannChristophArnold Johann Christoph Arnold

    Conférencier et auteur réputé sur les thèmes du mariage, de la parentalité, de l’éducation, de la résolution de conflits, et des questions liées à la fin de la vie, Arnold a été pasteur au sein des communautés Bruderhof, un mouvement de communautés chrétiennes.

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