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    Qui est-ce qui tourmente les innocents ?

    par Sibyl Sender

    lundi, le 27 avril 2015

    Autres langues: English

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    Là où Sibyl termine sa recherche n’a pas d’importance, mais comment elle y est arrivée – voilà ce qui importe. Comme elle l’explique, tous ses doutes et désirs, ses recherche et rébellion – même si elle n’en était pas consciente alors – ont été des prières tacites. Et à la fin, elles ont été exaucées.

    La mienne, est l’histoire typique d’une athéiste. Nous venons au monde avec une idée préconçue. C’est comme si nous avions un souvenir de meilleurs jours avant la naissance. A l’âge de quatorze ans je voyais que tout était en pagaille. Je discutais avec Dieu : « Ecoute, je crois pouvoir survivre les disputes de mes parents, même si je ne suis qu’une enfant unique qui doit tout porter sur les épaules. Mais, ces enfants innocents, couverts de mouches, qui gisent dans les caniveaux aux Indes – j’aurais pu en faire mieux !

    Je suis née en 1934, cinq ans après le krach boursier de 1929, et peut-être les gens étaient tout simplement mélancoliques en ce temps. En tous les cas, le jour de mon quatrième anniversaire, on me présenta le gâteau rituel en me disant que mon vœu se réaliserait si j’éteignais toutes les bougies, d’un seul souffle. J’en ai déduite que j’avais un gazoduc direct vers Celui que j’avais l’impression d’avoir connu avant ma naissance. Instinctivement, je ne le jugeais pas nécessaire de l’ennuyer avec des détails. Donc, d’un seul souffle, je lui ai dit de « tout régler » dans le monde.

    Naturellement, rien n’est changé. Même, c’était encore pire. A quatre ans et demi, je suis allé, pour la première fois, au catéchisme. Quand on m’a dit où j’allais, je me suis dit : « Enfin, je vais avoir la chance de rencontrer Dieu. » Une Sibyl, bien malheureuse, est revenue vers ses parents.

    « As-tu bien aimé ta leçon du Dimanche, chérie ?

    —Pas du tout. Nous avons découpé des moutons blancs, et nous les avons collés sur du papier vert. »

    La religion institutionnelle ne s’est jamais rétablie dans mes yeux.

    Depuis ce moment, la vie n’était plus que quelque chose à endurer. Personne, moi non plus, ne pouvait changer les choses. Comme enfant unique, de parents hautement éduqués, je vivais luxueusement. Il ne me fallait qu’une « horreur » par an pour me faire trembler devant toutes ces immenses questions philosophiques qui me tourmentaient. Pendant mes années primaires, cela a été la figure couverte de sang d’un ivrogne, qui marchait en zigzag. (« Ce n’est rien, chérie, il a seulement cogné la tête. Ne t’en fais pas. »). Apprenant que des gamins visaient des petits chiens avec leurs fusils à balles BB. Heurtant un phare clignotant lorsque j’ai perdu ma maman dans un magasin. Et, enfin, en voyant « par erreur » à onze ans les actualités, qui montraient l’armée américaine dans un camp de concentration après la Seconde guerre mondiale. Maman et moi, nous nous sommes caché les yeux, cependant j’avais déjà trop vu.

    A quatorze ans, je suis arrivée au bout du rouleau. Je n’ai pas reçu une réponse à ma prière constante à Dieu pour un monde parfait. Il y avait une surabondance de mal et, pire que tout, je commençais à voir que quatre-vingt pourcent de la bonté n’était que tromperie. Depuis l’âge de dix ans, j’avais méthodiquement lu tous les livres chez nous. J’ai commencé avec The Diary of a London Prostitute (le journal intime d’une prostituée londonienne). D’autres livres, dont je me souviens, Les nus et les morts, de Norman Mailer, L’homme au complet gris, de Sloan Wilson, et Black Boy, de Richard Wright. Si mes parents lisaient de la littérature provocatrice, comme celle-ci, ils n’étaient donc pas les parents que je croyais. En fait, ces livres se trouvaient dans chaque maison dans la ville. Mais ils n’avaient d’impact sur personne. Ou, ont-ils eu quelque effet après tout ?

    Je me suis décidé à donner une dernière chance à Dieu. En Californie, une fille de trois ans s’est coincée dans un tuyau de drain dans lequel elle est tombée. La nation entière priait pour sa délivrance, tandis que les hommes et les machines tentaient de l’extirper, sans lui faire de mal. C’était le moment pour une épreuve de force. Voici donc, mon Dieu, ta dernière chance ! Sors-la, vivante, sinon nous sommes quittes. Penses un peu, si cela ne dépendait que de moi, je la sauverais, même sans prières. La fillette mourut dans le tuyau.

    Sibyl with her daughter in 1955C’était le dernier coup de poignard, ma dernière once de regard pour Dieu s’est dissipée. Maintenant je savais que nous n’étions que des globules animées de protoplasme.

    Puis, il y avait cette stupide moralité humaine, qui semblait profondément enracinée en « ce qu’en pense les voisins ». Et ce que pensaient les voisins dépendaient de l’endroit où on habitait. La moralité, l’éthique, le bien et le mal étaient tous purement des phénomènes culturels (relatifs à la culture spirituelle). Tout le monde y prenait part. Moi, j’ai choisi le nihilisme, et la sensualité, et je vivais ainsi. Plus de bien ou mal, plus de morale, et plus de toutes ces coutumes culturelles. Une réplique d’un film l’a résumé : « aimes la bonne vie, meurs jeune, et que ton cadavre soit beau. » C’est ainsi que j’ai continué à vivre ce qu’il me semblait être la vérité, et je propageais mes idées vers toute personne assez stupide pour le croire. Je fumais, je buvais, et je me suis endurcie. Mais, je ne pouvais m’empêcher de ressentir le sentiment déchirant que la vie devait quand même avoir un sens, après tout. Je vois maintenant que j’étais tellement affamée, je désirais tellement connaître Dieu, que je l’injuriais afin de le faire descendre des nuées.

    J’ai passé mes dernières deux années de lycée dans une école privée de jeunes filles, où j’ai eu deux amies intimes. L’une était anglo-saxonne protestante, si intelligente, qu’elle en perdu la raison. L’autre était une noire de Baltimore, avec un partage lié au NAACP (Association nationale pour le progrès des gens de couleur). Nous discutions continuellement la philosophie, des livres, notre athéisme, la « question Dieu », et nous lisions des livres de C.S Lewis, juste au cas où nous pourrions le rencontrer, afin de le « remettre à sa place ».

    La présence dans la chapelle de l’école était obligatoire. J’ai refusé de baisser la tête pendant la prière pour des raisons de conscience, mais on m’a vu et j’ai été punie. Je fus bannie à l’arrière banc, où je lisais Freud d’un air provocateur.

    Radcliffe me semblait aussi hypocrite que l’Eglise, et j’ai bientôt abandonné mes études pour me marier. Né à Madrid d’une romancière célèbre, Ramón et sa petite sœur sont devenus orphelins lorsque les fascistes ont tué sa mère, lors de la guerre civile en Espagne. Quand le PEN Club (une association d'écrivains) à New York a entendu qu’il fallait les sauver, un membre riche offrit d’adopter les enfants. L’enfance de Ramón a été encore plus luxueuse que la mienne, mais elle était aussi peu importante pour lui que pour moi.

    Dans notre désir commun d’échapper à l’atmosphère stupéfiante des richesses, nous avons ressenti une grande affinité l’un pour l’autre lorsque nous nous sommes rencontrés en 1951 ou 1952. En 1954, nous avons abandonné l’université afin de nous marier. Nous n’avions tous les deux que dix-neuf ans.

    Bientôt, nous nous trouvions à court d’argent. Pour deux enfants riches, c’était vraiment « une expérience ». Les cadeaux de mariage ont été donnés en gage. C’était triste, mais il nous fallait admettre que l’argent était nécessaire.

    La première fissure en mon cœur endurci me vint après la naissance de ma fille, Xavérie. Elle était si innocente – tout comme les centaines d’autres bébés dans la maternité du grand hôpital, où elle est née. Mon cœur pleurait à la pensée que dans une cinquantaine d’années les uns mourraient dans un caniveau, les autres sombreraient dans leur richesse. Pourquoi ces petits êtres purs sont-ils mis sur cette terre terrible ?

    Pendant que je la soignais la nuit, je lisais Dostoïevski. La vérité me poursuivait, mais je n’aurais pas pu la définir. Il n’y avait pas non plus de temps pour méditer. Avant que Xavérie n’ait un an, il n’y avait plus de père à la maison. Ramón venait et repartait, et une nouvelle force puissante m’avait saisie : l’instinct de survie de l’amour maternel. Accepter un emploi, trouver une garde-enfant, payer le loyer, rechercher un nouveau mari. Après avoir payé la garde-enfant et le loyer, il ne me restait que dix dollars chaque semaine pour la nourriture et le transport. Mais je ne permettais pas qu’on ait pitié de « la pauvre jeune mère ». J’étais une mauvaise épouse, qui récoltait ce qu’elle avait semé. Je connaissais Ramón à fond et c’était tout autant ma faute ; à sa place, j’aurais fait la même chose.

    Ma vie a atteint le niveau d’un cabanon de porcher. Ramón et moi étions sur le point de nous séparer définitivement. J’étais « amoureuse » d’un autre homme, dont je portais l’enfant, qui voulait que j’obtiens un avortement. J’espérais toujours qu’il change d’avis au dernier moment, mais cela n’a pas été le cas. Ainsi, athéiste coriace que j’étais, je suis passé par l’épreuve la plus dévastatrice de ma vie. Bien que je sois toujours de l’avis que le bien et le mal n’existent pas (personne ne pouvait me persuader du contraire), j’ai été accablée de culpabilité.

    Le temps est arrivé où j’ai touché aussi près du fond de la vie qu’est humainement possible ; Xavérie était la seule barrière entre moi et le suicide. Lors d’une nuit torride du mois d’août de 1957, dans un milieu exécrable, j’ai poussé des cris désespérés vers un Dieu en qui je ne croyais pas : « D’accord, s’il y a une autre voie, montres-la moi. »

    Ramón m’a surpris quand il est entré dans mon bureau à Manhattan. Un an avant, il m’avait quitté pour rejoindre les hippies – la nouvelle génération de Jack Kerouac et Allen Ginsberg – à San Francisco, et nous ne nous n’avions pas vu depuis. J’habitais Queens, en face de mes parents, et je travaillais comme éditeur d’une revue de luxe. J’aurais dû savoir que Ramón pouvait contourner la réceptionniste sans suscité des soupçons. Personne dans le bureau ne savait que nous avions séparé, la plus récente d’une série de séparations. Il n’a pas éveillé le moindre amour en moi.

    Ramón plongea dans son histoire, dont voici le résumé : il se sentait attiré vers une communauté religieuse qu’il avait découverte dans le nord de l’Etat de New York, et il voulait que j’y rende visite avec lui.

    Je ne pouvais rien imaginer de pire. En tant qu’athée professionnelle, j’abhorrais tout ce qui avait à faire avec la religion. Les gens religieux faisaient des grimaces désapprobatrices, s’inquiétaient toujours de leurs réputations, ne disaient jamais : « Viens prendre du café et une cigarette avec moi. » Les gens religieux étaient raides, artificiels et complexés. Ils semblaient toujours attendre qu’on remarque leurs bonnes qualités. En outre, il y avait Ramón. Et je ne voulais rien avoir à faire avec lui. Il a persisté, et, éventuellement, j’ai accepté.

    J’ai soigneusement choisi ma tenue de voyage. Ma robe tube rouge pompier inviterait un rejet vite. Tout le long du chemin mon venin fermentait. Soudain, nous sommes arrivés. Nous nous sommes arrêtés près d’un grand arbre avec des balançoires pour enfants. Xavérie s’y est précipitée. C’était le mois d’octobre, et les couleurs étaient stupéfiantes, comme une prémonition de quelque chose de bon, quand j’avais cru que ce serait horrible. J’ai fait vingt pas au sein de la communauté et mes résolutions se sont effondrées. « Et, si Dieu existait, après tout ? »

    J’ai essayé de cacher mes sentiments, espérant que la sensation passerait. Une femme est venue à ma rencontre – paisible, les yeux plein de bonté, la figure douce, sans maquillage. Elle n’a même pas remarqué que j’étais le mal incarné en robe rouge. Rien ne marchait. Elle m’accepta comme si nous étions des amies depuis toujours, et qu’elle serait prête à être ma sœur pour toujours ! Tout ceci en un clin d’œil.

    Cependant, je n’étais pas du tout prête à plonger dans le buisson ardent, pas moi. Il y avait toujours la possibilité que bientôt tout s’avérerait hypocrite.

    Les enfers et les paradis que j’ai vécu pendant les prochaines quarante-huit heures me semblaient toute une vie. D’une part, j’étais émue jusqu’aux larmes ; d’autre part, je méprisais cette réaction, me rappelant que j’étais entouré probablement par des robots – une sorte de schizophrénie spirituelle.

    Le Dimanche matin j’attendais un sursis dans la bataille. Sûrement, la réunion de prière me guérirait de cet étrange penchant envers « la bonté » que je ressentais. Ce serait surement tout comme les autres assemblées absurdes auxquelles j’avais assistées. Vide de sens.

    En entrant dans la pièce de réunion, cependant – la même salle où nous avions pris nos repas – j’ai été abasourdie. Les tables avaient été poussées à l’arrière, les chaises de bois arrangées en un cercle. Les gens portaient les mêmes vêtements – pantalons fanés et jupes – et il n’y avait pas le moindre soupçon de religion. Quelqu’un parlait, mais il portait encore ses habits de fermier. Mais alors, impossible ! Il ne donnait pas de discours ; il lisait à haute voix …Dostoïevski ! Impossible. Je me disais : « Dieu merci, ne me fais pas ça ; faut pas me frapper dans mon plexus solaire littéraire. » Il lisait Les Frères Karamazov, et Ivan, l’intellectuel, disait à Alyosha, le croyant, qu’il refusait de croire en un Dieu qui consentait au tourment d’un seul enfant innocent. A ce moment, les mondes et les galaxies se heurtaient ; c’était mon dénouement spirituel. Je m’y abandonnais, mais une nouvelle question s’élevait : Est-ce Dieu qui tourmente les innocents, ou est-ce Sibyl?

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