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    Pink Flowers from Uruguay

    Les Jeunes de Notre Dame de Fatima

    Si tu as la paix en toi, personne ne peut te perturber

    par Maria Biedrawa

    lundi, le 28 mai 2018
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    Avez-vous déjà imaginé le scénario suivant : vous habitez à quelques pas d’un grand centre commercial de la ville ; c’est bruyant, certes, mais aussi et surtout vivant. Absolument tout le monde y passe. C’est le « pivot économique » de tous les mouvements de la ville. A quelques pas, il y a votre paroisse, votre « pivot spirituel ». Mais un jour, vous n’êtes pas réveillé par les cloches ou les klaxons ou les cris des commerçants, mais par des explosions de grenades et d’armes lourdes, des maisons qui s’effondrent, et les cris de détresse des blessés et des gens qui fuient. Vous vous réfugiez dans l’église. Qu’est-ce que vous feriez maintenant ?

    Pour comprendre la portée de l’action de ces jeunes, il faut d’abord parler de ce que signifie à Bangui le KM5, leur quartier. Nous en avons souvent entendu parler dans les médias. Le KM5, situé donc à 5 km du centre-ville, était le grand marché et centre commercial de la ville, tenu principalement, mais pas exclusivement, par des commerçants musulmans. La vie y battait son plein. C’était le lieu des échanges matériels, un lieu qui faisait partie du bien commun, car il faisait vivre tout le monde. Elena Lasida explique dans son livre « Le goût de l’autre »footnote comment l’économie peut être l’endroit où une alliance se noue entre les populations et renforce leur cohésion. Pour cela, le KM5 était un symbole.

    Marche km5 de Bangui dans le quartier musulman

    Marche km5 de Bangui dans le quartier musulman. Corbeau News Centrafrique

    Or, les violences commises tant par les Seleka que par les antibalaka visaient justement à éradiquer une fois pour toutes tout signe d’alliance, de cohésion, d’échange. Il est tristement logique que les exactions aient été particulièrement féroces à cet endroit qui, par la suite, est devenu le symbole d’une violence innommable, déshumanisée.

    Á peine à 5 minutes à pied du marché, se trouve la paroisse Notre Dame de Fatima, tenue par les Pères Comboniens, une congrégation missionnaire. Le terrain autour de l’église s’est transformé en camp de déplacés, accueillant jusqu’à 6000 personnes, dont aussi des musulmansfootnote. Tous cherchent à s’abriter des combats menés à l’arme blanche et à l’arme lourde. La tension dans ce camp improvisé est extrême : on entend les combats dans le voisinage, on s’inquiète pour les membres de la famille dont on est sans nouvelles, on vit dans la précarité, la promiscuité …. Le 29 mai 2014, l’église a été attaquée. Hommes, femmes et enfants impuissants et sans défense ont été massacrés. Plusieurs ont été blessés avec des machettes et tués par les armes. L'abbé de la paroisse, grièvement blessé après avoir été poignardé, a été transporté à l'hôpital ; il a rendu l'âme quelques minutes après. Plusieurs dizaines de personnes auraient été forcées de monter dans des pick-up. Ceux qui refusaient se faisaient tirer dessus. Il est à craindre que ces personnes auraient été torturées et tuées sans que personne n’ait pu leur venir en aide. Les survivants ont été traumatisés par cette attaque.

    « Potentiel », un ancien commerce du marché au KM5

    « Potentiel », un ancien commerce du marché au KM5.

    Les maisons éventrées le long de la rue principale et des ruelles du quartier sont les témoins criants de cette destruction massive. Les crimes contre l’humanité détruisent le présent et le passé et infligent une blessure béante à la capacité d’un peuple à croire en son avenir, à faire confiance à sa capacité d’action. En passant devant une de ces maisons, les paroles du Pape François me sont venues à l’esprit : « Ne vous laissez pas voler l’espérance », ainsi que son appel aux chrétiens d’être « comme des infirmiers dans les hôpitaux de compagne ». Les deux sont liés, et ici leur pertinence saute aux yeux. Le reste serait déconnecté du réel, un réel qui demande d’abord et avant tout de la compassion. Quelques minutes après avoir pris cette photo, je suis allée rencontrer un groupe de jeunes de Notre Dame de Fatima qui ont précisément choisi de mettre cela en œuvre.

    Ils sont engagés depuis longtemps dans cette paroisse. Ils sont étudiants, certains par exemple n’ont plus qu’à passer leur examen final de médecine. D’autres sont déjà insérés dans la vie professionnelle. Devant cette détresse, ils se demandent s’ils peuvent faire quelque chose. Avec le P. Moses, un jeune prêtre ougandais, ces jeunes ont commencé par faire régulièrement des tournées parmi les déplacés, dans un seul but : les écouter. Un d’entre eux est formateur et a l’expérience de l’écoute active. Rapidement, il a formé sur le tas ses amis. La tension a commencé à baisser : elle avait trouvé un exutoire dans l’écoute et la parole. Les deux médecins en fin d’études se sont mis à exercer leurs compétences de façon intensive : ils ont accouché 80 femmes en quelques mois, soigné les malades et les blessés. Ils se sont fait une réputation dans le quartier. Les voisins les appellent, parfois en pleine nuit, malgré le couvre-feu, surtout s’ils ont essuyé une réponse négative de la MINUSCA ou de Sangaris. A partir de 16h, quand ceux-ci – les Sangaris -sont appelés à l’aide, ils répondent, bien qu’ils soient armés jusqu’aux dents : « Trop dangereux, attendez demain matin ». On peut se demander à quoi servent leurs armes et ce que signifie leur mission de « protection civile » … Alors, quand l’attente devient trop longue, les douleurs trop graves, quand le bébé-à-venir a décidé de ne pas attendre Sangaris qui viendra (peut-être) demain, on appelle les étudiants à 23h le soir – et pour eux, sans armes, ce n’est pas « trop dangereux » de sortir. Cédric, l’un des deux, nous a dit : « De toute façon, il vient un moment où, vous n’avez plus que Dieu et vous faites ce que vous avez à faire. »

    Une délégation des jeunes de ND de Fatima : Fred, Michael, Cédric et Herbert

    Une délégation des jeunes de ND de Fatima : Fred, Michael, Cédric et Herbert.

    Ils voient, ils entendent. Et une idée inimaginable naît : « Faisons un film sur ce que nous vivons, et sur ce que nous aurons à vivre après : la réconciliation ! » L’un d’eux se met à écrire les scénarii. Les acteurs sont présents sur place, mais le matériel pour tourner un film ? Ils n’ont rien. Alors, ils commencent à retourner leurs poches et à mettre en commun ce qu’ils ont pu ainsi récolter. Assez pour louer du matériel ! Et ils le fabriquent sur place avec leurs ordinateurs, malgré les coupures de courant. « La Colombe » montre l’impact de la crise à travers le spectre de deux jeunes amis, l’un chrétien, l’autre musulman, inséparables mais soudainement éprouvés quand le frère de l’un est tué par ceux de l’autre camp. Le film anticipe déjà l’après-crise et met en scène la rencontre au cours de laquelle les deux camps confrontent leur mémoire. Le message est celui-ci : « Laissons la justice faire son travail, mais quant à nous, aujourd’hui, demandons et accordons le pardon ». A présent, ils montrent ce film dans beaucoup de groupes différents. Le débat qui suit est toujours houleux. Mais le message passe, surtout celui qui consiste à refuser la vengeance personnelle et à laisser la justice faire son travailfootnote. « Si tu as la paix en toi, personne ne peut te perturber. » dit Herbert, à qui il faut certainement une bonne dose de paix quand il anime ces rencontres.

    Actuellement, les jeunes de Notre Dame de Fatima se projettent dans un engagement au cœur de la société. Ils ne restent pas indifférents au banditisme et au chômage de masse des jeunes non-éduqués, à la situation des mères célibataires, ni aux violences sexuelles faites aux femmes ; ils s’intéressent à l’accompagnement compétent des personnes traumatisées, à la façon de recréer la cohésion sociale, à la bonne gouvernance, aux droits de l’homme, à la non-violence active et à l’éveil de la responsabilité citoyenne. Ils aident à renouer les alliances brisées.

    Ils ont fait parler d’eux. Dernier acte de bravoure pour l’instant : plusieurs ONG internationales leur ont rendu visite et ont essayé d’obtenir les droits sur le film en promettant de le financer en vue d’une large diffusion. Les jeunes ont décidé de ne pas vendre le film, mais de le mettre à disposition gratuitement et de rester ainsi libres de suivre leur propre chemin dans la liberté des enfants de Dieu sous la conduite de l’Esprit Saint, et de sauvegarder l’originalité de leur démarche.

    Jusqu’ici, ils ont réussi sur deux points : prévenir la violence à l’intérieur du camp de déplacés improvisé autour de leur église, et créer un outil qui libère la parole et pose des repères pour le travail de réconciliation. Ils ont partagé la même situation que beaucoup d’autres, mais sans la subir. Ils l’ont transformée en un témoignage de compassion active, prévoyante, créative qui les rend crédibles. Dans leur engagement pour la réconciliation, à travers le film, ils ne font que ce qu’ils avaient déjà commencé, mais à plus grande échelle : écouter, accueillir les souffrances, mettre en face une parole juste et audible, une dynamique de réconciliation. Ces jeunes n’ont pas encore dit leur dernier mot …

    Pink Flowers from Uruguay

    Note

    1. Elena Lasida : Le goût de l’autre – La crise, une chance de réinventer le lien; Albin Michel 2011
    2. L’inverse est aussi vrai : selon une source, des musulmans à Bambari ont caché et protégé des chrétiens.
    3. Laisser la justice faire son travail n’est pas tâche aisée dans un pays où l’Etat n’existe quasiment plus. Il est donc important de mentionner que la communauté internationale a mis à disposition un collectif de 12 magistrats internationaux, présidé par un 13ème magistrat qui, lui, est centrafricain. Outre leur mission de  soutien opérationnel, ils ont aussi une mission de renforcement des capacités des juges locaux dans cette situation exceptionnelle.
    Presenté par MariaBiedrawa Maria Biedrawa

    Hormis son travail principal en France comme formatrice dans le domaine médico-social, elle est régulièrement en Afrique subsaharienne. Là, elle travaille avec des groupes autochtones qui sont engagés dans le travail de paix et motivés par leur inspiration religieuse.

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