Homme de conviction et d'action en référence à l'Évangile, Henri Roser (1899-1981) a pris position pour l'objection de conscience dès 1923, après avoir été officier de 1918 à 1921. Ardent témoin de la paix et défenseur des grandes causes humaines, il s'est élevé avec vigueur contre toutes les formes de totalitarisme, contre l'arbitraire et la torture, contre l'usage de la force en quelque circonstance que ce soit, contre la course aux armements. Président de la branche française du Mouvement international de la réconciliation et du Service civil international, il a ouvert des voies à la non-violence.

Attentif aux besoins des hommes et des femmes privés de justice, de dignité et de liberté, Henri Roser a exercé la quasi-totalité de son ministère pastoral en milieu populaire et fut durant neuf années le directeur de la Mission populaire évangélique. Président national de la Croix-Bleue de 1946 à 1972, il s'est engagé dès les années vingt aux côtés des personnes alcooliques pour les accompagner dans leur guérison.

Par le caractère prophétique qu'ils ont revêtu pour l'Église et pour le monde, le message d'Henri Roser garde aujourd'hui encore toute son actualité pour une humanité en quête de repères et d'espérance.


Attendre en silence le secours de l’Eternel ? Il fut un temps où le pacifisme cédait aisément à la tentation de la facilité, je veux dire à l’illusionnisme. II croyait accessible, dans le plan social, non pas demain, mais immédiatement, et, dans ce cas, non point en vertu d’une sorte de miracle qui bousculerait les lois du développement psychologique et sociologique ordinaire, mais par l’effet de son propre effort et du travail de quelques-uns ce qui dans l’âme est le produit de la fol. Il faut bien constater en effet que faute d’être suffisamment nombreux et peut-être surtout d’être suffisamment forts spirituellement, le pacifisme s’est révélé incapable de fournir aux hommes d’Etat les moyens d’une action véritable contre la guerre. Et qui oserait dire que présentement son témoignage fournisse les éléments d’une politique internationale immédiatement applicable et vraiment satisfaisante ?

Il faut bien constater ... que faute d’être suffisamment nombreux et peut-être surtout d’être suffisamment forts spirituellement, le pacifisme s’est révélé incapable de fournir aux hommes d’Etat les moyens d’une action véritable contre la guerre.

Mais aujourd’hui le pacifisme de la foi est lui-même hanté par la tentation inverse, je veux dire par le désespoir. « Le témoignage, dit-on, est du domaine de la religion, tandis que la politique est du domaine du succès temporel. Il ne faut pas confondre les deux ». Et la conclusion c’est qu’il faut garder sa foi de toute alliance contre-nature, et ne pas attendre de Dieu ce qu’il ne saurait vous donner. Pratiquement, on l’attendra donc des bombes atomiques du pays de la Libre-Entreprise, ou de l’extension de la révolution soviétique. Mais on n’est plus pacifiste en ce cas… On voit fleurir de tels raisonnements, que suivent de telles attitudes, dans toutes les périodes historiques où le citoyen est durement pressé par les événements, en cours. Ces vues traduisent une sorte de désespoir : l’homme fatigué, harassé, fiévreux, n’a plus assez d’énergie intérieure pour projeter sa foi sur les événements et par elle modifier leur structure. Il est par l’effet de sa lassitude ou de son découragement dépouillé de tout pouvoir de préhension sur la réalité. Il s’abandonne, c’est-à-dire qu’il abandonne son rôle essentiel d’homme, qui est d’insérer l’esprit dans la trame du monde, de servir d’instrument à l’incarnation du Dieu vivant, de collaborer par sa fidélité à la transmutation du réel. En tant, il trahit, le malheureux, et il essaie de masquer sa déchéance à ses propres yeux, en lui donnant des justifications pseudo-philosophiques ou pseudo-religieuses.

Que peut une poignée de chrétiens que l’Evangile a appelés et voués à la paix en face d’un monde tourmenté dans son âme par des passions et des frénésies qui, après s’être exprimées par canonnades et bombardements aériens et tout en continuant même de s’exprimer ainsi, jettent les esprits au désarroi et les cœurs à l’amertume, sinon à la haine ? Que peut la calme et pieuse sagesse de ces chrétiens devant le déchaînement tumultueux des instincts et des mystiques ? Ils n’ont pas seulement contre eux, ces pacifistes, le mouvement naturel du cœur de l’homme, sa paresse à concevoir et à réaliser le nouveau, son tremblement devant l’inconnu de l’avenir sa résistance à l’effort et au sacrifice, son inertie et sa passivité ; ils ont aussi pour braver leur espérance, des énergies en mouvement, des puissances exaltées, des forces jaillies du tréfonds de l’être, des dynamismes élémentaires portés à leur paroxysme par la propagande aux mille voix et formidablement efficients du fait de la communion des masses dans l’irrationnel. Puissances d’en-bas, surgies d’au-delà du seuil de la conscience, mais qui, liées à la vie, tiennent d’elle ce qu’elle-même tient de Dieu ? Puissances divines déchues. Notre temps à son tour vérifie la profondeur tragique du vieux mythe de Lucifer. Cette énergie, elle est de Dieu, mais tournée contre lui. Et les démons au masque de mensonge entraînent les hommes séduits, à dévouer leur foi, leur amour et jusqu’à leur vie à l’œuvre d’impiété, de haine et de meurtre. Sombre grandeur des cultes antiques que nos siècles « de lumière » croyaient révolus ! Cultes de faux-dieux, cultes de mort ! Où est Christ en tout cela ?

​Le mensonge, avec ses variations d’erreur, d’illusion et de foi pervertie, est signe de mort...

Dieu est d’abord vérité. Parce qu’il EST. A l’encontre de tant de choses et d’hommes qui n’ont de l’être que l’apparence. Le mensonge, avec ses variations d’erreur, d’illusion et de foi pervertie, est signe de mort, non seulement en ce qu’il prépare des conséquences funestes mais parce qu’il révèle déjà l’absence de réalité. On ment tellement de notre temps que les hommes, et avec eux les croyants, finissent par ne plus croire à la puissance intrinsèque et à la vertu créatrice de la simple et nue vérité : on est foncièrement athée et on favorise par tactique l’action des églises (pour autant qu’elle ne vous gène pas) ; on est chrétien et on seconde ou au moins approuve des croisades même militaires contre les sans-Dieu ; on opprime et exploite des millions et des millions d’hommes chez soi et à l’étranger et on prétend organiser la paix et la joie de vivre pour tout le monde ... Mensonges. Dans ce réseau de demi-vérités (demi-vérité, mensonge entier), de contre-vérités, d’affirmations de propagande, de mensonges camouflés d’apparente sincérité on d’indignation tapageuse, personne ne sait plus où il en est, les menteurs moins encore que les autres, car ils se prennent à leur propre jeu. On arrive ainsi à être pleinement sincère, dans le moment où on est le plus en dehors de la vérité. Signe dramatique de la confusion générale des esprits…

Qui dissipera ces nuées, sinon celui qui dira la vérité ? Il faut croire, entendez-vous, croire avec une assurance victorieuse, tenir pour absolument certain que la simple affirmation de la vérité est un élément positif de la paix et une contribution insigne à sa construction. Donc, pacifistes chrétiens, disons que la justice, surtout envers les faibles, le respect de la parole donné, la bonne foi, sont aussi nécessaires à la paix que la bonne volonté et la non-violence. Maintenons qu’il n’y a point de force créatrice dans la violence et que l’Evangile demeure inconciliable avec la guerre, aussi bien la guerre de délivrance que la guerre de préservation. Mais disons surtout, et avec cette vigueur entière de l’âme qui tire ses conclusions et aligne sa conduite sur ses convictions, que la vérité seule et l’amour sont capables d’action féconde. Alors nous créerons l’atmosphère de la paix où les hommes respirent à nouveau la sagesse et la bonne volonté.

Extrait du livre La paix sans illusions.