Si, au temps des apôtres, les anciens présentaient, comme chez nous, des rapports annuels sur la marche de leurs églises respectives, celui de la congrégation de Sardes dut être, en somme, très encourageant dans l'année où Jean écrivit l'Apocalypse. Je crois entendre ce rapport : « Fréquentation du culte, très satisfaisante; conduite des membres, irréprochable. Pas de scandales; aucun cas grave de discipline! Nul dissentiment! Nulle hérésie! Pas de défections! L'église a donc continué sa marche tranquille; et si la ferveur de ceux qui la composent, si leur action sur le monde semblent n'être plus telles qu'autrefois, c'est que la rupture avec le paganisme est maintenant consommée, et que le premier amour ne peut probablement pas toujours durer.... » Conclusion du rapport : « N'avons-nous pas lieu de bénir le Seigneur pour l'état de notre chère église, surtout si nous le comparons à celui de sa pauvre sœur de Thyatire, ou même à celui de l'église de Pergame, celle-ci menacée, celle-là ravagée par ces nicolaïtes que nous ignorons?... » Là-dessus, cantique d'actions de grâces et satisfaction intime dans toute la congrégation!

À quelque temps de là arrive de Patmos le livre de la Révélation de Jean. Nouvelle réunion de l'église pour en avoir lecture. On en vient aux sept épîtres : après celle d'Éphèse, celle de Smyrne, puis celle de Pergame, celle de Thyatire, puis,... ô indicible attente!... la lettre de Sardes! Cette fois c'est le rapport du Seigneur! Quel est-il? « Je connais tes œuvres, tu as la réputation d'être vivant, mais... mais tu es mort! » Quel coup de foudre! « Quoi, morts, nous ? Avec notre orthodoxie et notre horreur des nicolaïtes; avec notre assiduité au culte et nos contributions pour les œuvres chrétiennes! Morts? »

Eh bien, quelle qu'ait été son impression première, j'aime à penser que l'église humiliée aura béni cette main fidèle qui abaisse et qui relève, qui blesse et qui guérit! De la part du Seigneur, n'est-ce pas aimer que de dire la vérité ?

Mais que penser de ce contraste entre les rapports de Dieu et les rapports des hommes? Que ceux-ci, sans qu'on le veuille, peuvent être faux! Quelle énorme distance, quel abîme existe, parfois, entre l'état réel d'une église ou d'une âme et l'opinion qu'elle a ou qu'on se fait d'elle! « Tu as la réputation de vivre, mais tu es mort! » Une église peut donc avoir les apparences de la vie, comme ces personnes retrouvées à Pompéi dans l'attitude même de la vie, quand, depuis longtemps, elle ne vit plus ou presque plus au jugement de Dieu; quand, à la vie ecclésiastique, à la vie morale et à de certaines habitudes religieuses, ne s'ajoute plus ou presque plus chez ses membres la vie de l'Esprit, la communion avec Christ, la vie spirituelle enfin, qui est la seule que l'Évangile compte comme vie !

Quelle leçon pour nous! Leçon propre à nous abattre? Non pas, certes, nous le verrons en finissant. L'église de Sardes elle-même ne devait pas désespérer de son avenir, puisque le Seigneur lui laisse entendre, par tout le reste de sa lettre, que son mal n'est ni absolu, ni sans espoir. Mais cette leçon est propre à nous faire réfléchir, à exciter notre vigilance, d'autant que, de tous les dangers qui menacent les âmes et les églises, il n'en est pas de plus commun, pas de plus caché, pas de plus varié dans ses causes et de plus funeste dans ses effets que celui de la mort spirituelle sous des dehors trompeurs de vie!

Pour vous le prouver, je vous citerai trois cas analogues à celui de Sardes, l'un dans l'histoire de l'église grecque, le second dans celle de l'église protestante allemande, et le troisième dans celle des dissidents anglais.

I

Si je ne croyais pas à l'avenir de l'église grecque, il me serait très pénible d'avoir à comparer son passé à l'état de celle de Sardes. Mais j'espère beaucoup pour elle. Je la crois destinée à un grand rôle dans le Royaume de Dieu! C'est, me semble-t-il, en vue de cette destination future qu'elle a été séparée de Rome et mise à part, mise en réserve, dès le IXe siècle, par le Seigneur, alors, il est vrai, que des erreurs nombreuses avaient pu déjà naître, mais avant qu'eussent paru quelques-unes des plus graves, par exemple l'interdiction absolue du mariage aux prêtres et celle de la Bible aux laïques. L'église grecque a … bien des superstitions et bien des doctrines antiévangéliques, mais, avec nous, elle … conseille la lecture de la Bible, au lieu de la prohiber. (…)

Jusqu'à notre époque, l'église grecque est restée dans un état d'immobilité presque absolue. Avec beaucoup moins de mal, elle a aussi présenté moins de bien que l'église romaine, moins de plaies hideuses, mais aussi moins de vigueur et de force d'expansion! Ce n'est pas tant l'église des contrastes que celle de l'uniformité!

(…)

L'histoire de l'église grecque ressemble donc, le plus souvent, aux immenses et arides steppes de la Russie. On la dit pétrifiée : le mot ne me semble pas juste; et si je parle de mort pour la caractériser, je n'emploie pas ce terme dans le sens propre et absolu qui s'applique à un cadavre, mais dans l'acception figurée et relative qui exprime l'état de notre végétation en hiver. Un auteur russe n'a-t-il pas lui-même comparé son église au blé d'automne qui, après avoir dormi sous des amas de neige, pousse avec vigueur aux premières chaleurs du printemps?

Quand viendra ce printemps? Dieu seul le sait ! À toute époque a existé, dans cette église, beaucoup de dévotion, beaucoup de zèle extérieur, un profond attachement pour le passé, enfin, chez les Russes, une grande libéralité naturelle; mais, quant aux fruits de l'Esprit: la régénération, la sanctification, la liberté glorieuse des enfants de Dieu, ils y ont fait presque entièrement défaut, et l'état actuel de cette église me paraît correspondre assez bien à, ce moment de la vision d'Ezéchiel où, le corps étant reconstitué, il y manque encore le souffle vivifiant de l'Esprit. Ce souffle s'y répandrait plus vite, n'était la trop haute idée que l'église grecque a d'elle-même. Mais elle se dit seule orthodoxe, apostolique et sainte, seule en possession de la doctrine et du culte primitifs, seule tolérante, seule en état de sauver les âmes, et cette funeste illusion, qui est un trait frappant de ressemblance avec l'église de Sardes, est un très grand obstacle à son propre salut.

II

Hélas, l'église grecque n'est pas seule à nourrir de telles illusions. Plus éclairée et, par conséquent, plus responsable, l'église protestante allemande nous en présente de non moins douloureuses au XVIIe siècle!

En parlant de Philadelphie, nous rappellerons brièvement l'œuvre de la réforme, mais, aujourd'hui, c'est de sa décadence ou d'un commencement de décadence qu'il faut nous occuper. On en connaît généralement les causes : l'intervention politique des princes; le désir de conserver du passé tout ce qui n'était pas manifestement contraire à la Bible; enfin l'idée de l'opus operatum, c'est-à-dire de l'action presque magique des sacrements, tels furent les principaux germes du mal qui compromit rapidement l'œuvre de Luther. Déjà de son vivant la vie spirituelle et l'amour eurent bien à souffrir des âpres controverses, et, à la mort de Melanchthon, on trouva sur sa table un papier où, parmi les bienfaits du délogement, on lisait ceci : « Être délivré de la rage des théologiens! »

Cette rage était, cependant, bien loin de son apogée, car, dès lors, le fléau ne fit que progresser. La fameuse formule de concorde (1577) n'enfanta que discordes, et inaugura le siècle aride qu'on a nommé le siècle de la scolastique protestante, de l'orthodoxie morte ou des confessions de foi. C'est là, en effet, le jugement que tous les historiens ont porté sur le XVIIe siècle. Comme l'église de Sardes, celle de la réforme allemande s'est crue alors très vivante. Extérieurement elle l'était en effet. Le traité de Westphalie, en 1648, lui avait donné de la consistance; ses universités, nombreuses et bien fréquentées, représentaient une somme énorme de travail et d'érudition. L'assistance au culte était satisfaisante; la vie intellectuelle, intense; les mœurs, sans être l'idéal, bien supérieures à celles d'autres époques; mais la vie spirituelle et ses fruits faisaient presque absolument défaut.

Ah! si la vie spirituelle était en proportion de l'activité théologique et de l'orthodoxie, mon appréciation serait radicalement fausse. En effet, dans les universités et du haut de la chaire, parmi le peuple même, ce n'était que discussions et controverses! (…) Jamais plus de haine à propos d'amour! On analysait tout, on décomposait tout, au risque de tuer la plante de la foi, on la disséquait jusque dans ses dernières racines capillaires.

Les confessions ne faisaient grâce d'aucun détail, et le moindre écart vous damnait! Chacun devait souscrire à ces impitoyables symboles; mais, aussi, on ne demandait pas autre chose! Cette foi était-elle du cœur ou de la tête, vivante ou morte, féconde ou stérile? C'est bien de cela que se préoccupaient la chaire et le confessionnal! Régénération, conversion, sanctification, imitation de Jésus-Christ, autant de sujets que n'abordaient jamais la plupart des prédicateurs! Et si un homme, plus éclairé ou plus pieux, voulait rappeler que la foi sans les œuvres est morte, et rétablir l'équilibre entre la justification et la sanctification, aussitôt toute une meute de théologiens de se jeter sur lui pour le mettre en pièces!

C'est ainsi qu'Arndt, l'auteur du Vrai Christianisme, ouvrage immortel, traduit dans un très grand nombre de langues, fut accusé d'une dizaine d'énormes hérésies, abreuvé d'injures toute sa vie, et dénoncé comme suspect de romanisme et même d'alchimie! Spener, Francke et d'autres ne furent pas mieux traités. Voulait-on, tout en défendant la foi, apporter dans la discussion quelque charité et quelque convenance, on était aussitôt lapidé de mots tels que : « crypto-catholique, » ou « crypto-calviniste, » et les hommes de paix, non moins que de fermes convictions, qui essayèrent de rapprocher les luthériens des réformés, et, parmi les luthériens, des chrétiens séparés par de très secondaires différences, furent mis au ban de l'église, et traités comme ennemis de Jésus-Christ !

Pendant ce temps que se passait-il dans le domaine de la pratique, c'est-à-dire de l'activité chrétienne? À part les œuvres personnelles de quelques hommes de Dieu, d'un Ernest le Pieux par exemple, rien, absolument rien!

Rien dans le champ des missions extérieures, bien que les occasions n'aient pas fait défaut!

Rien dans la mission intérieure, alors qu'en France, dans l'église romaine, florissaient les œuvres innombrables de saint Vincent de Paul, et que Port-Royal se consacrait à l'éducation religieuse des enfants! S'occuper de l'âme des enfants, évangéliser le peuple, pourquoi? Mais n'avaient-ils pas tout ce dont ils avaient besoin…?

Toutefois ce désert aride n'est pas sans oasis. Et cette moderne église de Sardes a compté des hommes dont la piété profonde et vivante a lutté sans cesse, pour sauver « le reste qui s'en allait mourir. » Au nom d’Arndt, déjà mentionné, on est heureux de pouvoir ajouter ceux de Paul Gerhard, de Clausnitzer, Silésius, Rinkart et d'autres, auteurs d'admirables cantiques, de Herberger, Müller, Scriver, dont les ouvrages savoureux ne passeront jamais.

Tous ces hommes ont constamment rappelé à l'église allemande comment elle avait jadis « reçu » l'Évangile, et si leurs efforts n'ont pas été immédiatement couronnés d'un complet succès, ils ont cependant frayé la voie à l'homme excellent dont le Seigneur se servit plus tard pour sauver la réforme.

III

Dans la seconde moitié du même siècle, l'état de l'Angleterre semble bien plus désespéré encore! Après les bouleversements politiques dont ce pays vient d'être le théâtre, l'immoralité la plus éhontée, l'irréligion, l'incrédulité, se précipitent dans toutes ses classes, avec cette impétuosité et cette résolution, je dirais cette brutale franchise, qui caractérisent la race anglo-saxonne. Ah, certes, on n'y dissimule rien alors! L'impiété s'y affiche à ce point que Montesquieu, alors en Angleterre, peut écrire : « En France je passe pour avoir peu de religion, en Angleterre' pour en avoir trop. » L'église établie ne répond donc pas au type de Sardes, car ce n'est pas la mort sous les apparences de la vie, c'est la décomposition qui y règne. Dans sa douleur, le pieux archevêque Leighton s'écrie : « L'Église n'est plus qu'un squelette sans âme, » et l'évêque Burnet : « je suis dans ma soixante-dixième année, et, avant de mourir, je veux parler en toute franchise : c'est avec la plus vive souffrance que j'entrevois la ruine imminente de l'Église. »

Mais que deviennent donc et que font les églises des dissidents? Ne sont-ils donc plus le sel de la terre tous ces indépendants, ces presbytériens et ces baptistes, tous ces non-conformistes qui, du plus obscur au plus illustre, ont enduré, par centaines de mille, la prison ou l'exil pour la grande cause de la liberté de conscience et de la vérité? Ah, certes, ils comptent encore dans leurs églises des hommes vivants : un Isaac Watts, le célèbre hymniste, un Doddridge et d'autres; toutefois c'est chez eux que, vers la fin du XVIIe et dans la première moitié du XVIIIe siècle, l'histoire de Sardes tend à se reproduire. Au lieu de l'immoralité grossière et de l'impiété ouverte sévissant ailleurs, un reste d'austérité puritaine, la connaissance de la Bible, l'observation du dimanche, l'attachement aux habitudes religieuses; mais avec cela, d'après le témoignage de leurs prédicateurs, un rapide déclin de la vie spirituelle, grâce à d'interminables discussions et dissensions intestines, à l'orgueil d'église et surtout à l'oubli de l'activité chrétienne dans l'évangélisation du peuple, voilà ce qui les caractérise depuis l'édit de Guillaume III.

Le sel a donc évidemment, là aussi, perdu sa saveur; le levain n'a plus d'action sur la pâte; la vie s'éteint à son foyer même; en dépit de quelques tentatives de réaction et des soupirs de pasteurs assez vivants pour sentir le mal mais trop peu pour y remédier eux-mêmes, le pays tout entier est arrivé à cette limite extrême d'affaiblissement et de décadence où une nation n'a plus qu'à mourir, à moins qu'une intervention de Dieu n'y suscite l'un de ces hommes qui peuvent appeler Lazare hors de sa tombe. Eh bien, Dieu suscita cet homme, au moment même où Voltaire écrivait d'Angleterre cette parole triomphante : « On est si tiède à présent sur tout cela (c'était à propos du christianisme) qu'il n'y a plus guère de fortune à faire pour une religion nouvelle ou renouvelée. » Nous verrons dans un autre discours quel démenti le Seigneur lui donna.

IV

Je devrais poursuivre cette triste revue en vous disant que, plus tard, d'Angleterre ce vent glacial traversa la Manche pour venir flétrir les fleurs de la réforme soit en France, soit dans notre Suisse française. Mais j'ai eu tant à vous entretenir de mort qu'il me tarde de vous parler de vie, en vous ramenant des églises à Jésus-Christ!

En effet, c'est lui, c'est le rôle de sa personne vivante, c'est la nécessité de lui appartenir sans cesse, et de vivre en lui dans l'obéissance, qui va ressortir avec force de ce douloureux sujet.

N'est-ce pas, en effet, l'Esprit, l'Esprit seul qui vivifie les âmes et les églises, et n'est-ce pas Christ seul qui en dispose, de la part du Père, pour tous ceux qui se donnent et se consacrent à lui? Voilà ce qu'il nous rappelle dans le préambule de son épître à Sardes, lorsqu'il se dit en possession des sept esprits de Dieu, c'est-à-dire de la plénitude de la vie divine, pour les sept astres et les sept églises qu'il tient en sa main!

La naissance d'un contact direct de l'homme avec Christ par une conversion véritable, et l'entretien, le développement de ce contact par une consécration incessamment renouvelée, tels sont donc, pour les individus et pour les églises, l'unique source de la vie et l'unique moyen de la conserver!

Aussi tout ce qui fait oublier la nécessité de ce contact, ou tout ce qui tend à s'y substituer en usurpant le rôle de Christ, confusion du domaine temporel et du domaine spirituel, exagération et altération du sens des symboles, invocation de médiateurs autres que Christ, développement du cléricalisme, procédés, formules, prétentions de l'Église à faire elle-même le salut des siens, obstrue la source de la vie et maintient les âmes dans leur état de mort. Il n'est pas jusqu'aux moyens de grâce eux-mêmes : Église, baptême et sainte cène, qui ne deviennent des obstacles à la grâce, quand on les dénature en leur donnant une place qui n'appartient qu'à la personne vivante de Jésus-Christ!

Dans l'église grecque ce sont surtout les rites, dans l'église luthérienne du XVIIe siècle les formules qui ont trop pris cette place, et, dans toutes deux, l'identification du signe de la grâce et de la grâce elle-même, l'idée de l'efficacité intrinsèque des sacrements, a transformé le salut en une série de phénomènes infaillibles, et l'œuvre de Dieu en une sorte de procédé.

Trop longtemps il en a été à peu près de même dans nos églises nationales, où des causes analogues ont produit, à un moindre degré, les mêmes effets. En effet, si la patrie et l'Église, si la naissance et la nouvelle naissance se confondent au point que l'homme se croit chrétien parce qu'il a été baptisé, que venez-vous nous parler d'une régénération qui est toute faite, et d'une communion avec Christ qui existe déjà? Ou bien la prédication se taira sur ces vérités fondamentales, pour s'en tenir aux seuls sujets qui concernent des chrétiens, – et c'est ce qu'elle n'a que trop fait, – ou bien, si elle ose proclamer, sans faiblir ni jamais se démentir, cette vérité désagréable, la nécessité d'une régénération, elle viendra se heurter et s'amortir, pendant des années, des siècles peut-être, contre ce fait brutal qui la domine et la contredit : l'identification du citoyen et du chrétien! Et voilà ce qui explique l'état de mort, presque absolue, où sont plongées bien des contrées protestantes, nos campagnes, par exemple, y compris des paroisses dans lesquelles deux et trois ministères parfaitement fidèles se sont successivement engloutis, sans qu'on y ait pu jamais créer quoi que ce soit qui atteste l'existence de la vie spirituelle : une véritable réunion de prières, une union chrétienne de jeunes gens, une activité de laïques, d'hommes surtout, auprès des malades, dans les écoles du dimanche, ou dans le champ de l'évangélisation!

Et voilà pourquoi j'ai soif d'indépendance pour des frères que j'aime, avec qui je souffre, et auxquels je voudrais que nous pussions nous unir un jour! Voilà pourquoi, dussions-nous avoir à reprendre par le plus bas l'évangélisation de notre peuple, je ne saurais, pour ma part, m'alarmer – m'affliger oui, m'alarmer non – de toutes les menées politico-religieuses qui, tôt ou tard, mettront fin à une déplorable fiction.

Mais tout ne sera pas fait quand nos frères auront fondé une église indépendante, et sous cette forme nouvelle, si bonne soit-elle, parce qu'elle rappelle sans cesse la nécessité d'une décision personnelle et la différence essentielle entre la naissance et la nouvelle naissance, eux comme nous pourront perdre la vie spirituelle, si ce principe devient une idole, ou, tout au moins, un oreiller de paresse et, dans leur cœur, un rival de Jésus-Christ!

Oui, les églises libres peuvent, elles aussi, perdre la vie; elles peuvent décliner, sous des apparences trompeuses, et mourir intérieurement longtemps avant que l'enveloppe de leur âme, c'est-à-dire leurs institutions et leurs cadres, ait enfin disparu. Toutes libres qu'elles sont, – rappelons-nous que l'église de Sardes était une église libre, – elles peuvent mourir parce qu'en dehors de Christ je ne connais rien et il n'y a rien qui empêche de mourir. Elles peuvent mourir en cessant de veiller et de prier pour s'affermir en Christ! Elles peuvent mourir quand elles se complaisent en elles-mêmes. Elles peuvent mourir quand, dans les jouissances d'une piété égoïste, elles oublient la grande mission de salut que Christ en mourant a léguée aux siens! Les églises libres peuvent mourir et elles commencent: à mourir, comme Sardes, du jour où elles cessent de mourir comme Jésus-Christ. C'est aux églises comme aux âmes que s'applique cette parole : Sauver sa vie, c'est la perdre; la perdre pour l'Évangile, c'est la sauver!

Voilà ce qu'aux églises libres actuelles disent bien haut et l'église libre de Sardes et les églises des anciens puritains! (…)

Et c'est … le Seigneur qui, connaissant nos cœurs, peut dire si je parle à des morts, à des mourants ou à des êtres vraiment vivants ! Ah, s'il était à ma place, quel langage nous tiendrait-il? Dirait-il à cet auditoire ce qu'il écrivait à Sardes : « Tu sembles être vivant, mais tu es mort? » « Vous venez régulièrement au culte, vous chantez, vous vous levez pour la prière, vous écoutez, votre intelligence travaille, vous paraissez vivre, et, cependant, spirituellement vous êtes morts ? Le sentiment du péché, la joie du pardon, l'amour pour le Sauveur, l'amour pour les âmes, le zèle, font encore défaut à votre âme? »

Oh, je suis bien sûr qu'il discernerait ici plusieurs âmes vivantes, qu'il exhorterait à progresser sans cesse dans leur union avec lui. Il en verrait d'autres, beaucoup d'autres peut-être, en péril de rechute et de mort spirituelle, faute de vigilance, faute d'activité chrétienne ou d'obéissance fidèle. Alors, avec quelle sollicitude et quelle fermeté, tout ensemble, il s'efforcerait de leur montrer leur état véritable, et comme il les supplierait de sauver un faible reste de vie, en revenant immédiatement à lui !

Enfin, a ceux qui, pour n'avoir jamais passé par la nouvelle naissance, sont encore dans cet état de mort où nous a mis le péché, il ferait entendre cette voix puissante qu'ouïrent jadis le jeune homme de Naïn, la fille de Jaïrus et son ami Lazare de Béthanie. Il leur dirait: « Réveille-toi, réveille-toi, toi qui dors, et te relève d'entre les morts ! »

À tous donc il aurait à adresser, et à tous dans ce moment, par son Esprit, il adresse une parole vivifiante, une parole de vie et de résurrection ! Allons donc tous au Prince de la vie, les uns pour recouvrer, les autres pour recevoir la vie: tous pour la lui confier et la lui consacrer! Ainsi soit-il.


Adapté du livre Les sept églises d'Asie, de Gustave Tophel, 1878.