«A quoi sert l'école ?» C'est une question que mon fils est sans doute le milliardième écolier à poser lorsqu’on lui dit de ranger son ballon de foot et de se mettre à ses devoirs. Les parents disposent de toute une panoplie de réponses, qu'ils ressortent régulièrement le moment venu. N’empêche, la question reste sans réponse, même deux siècles après l’invention par les Prussiens de la scolarité obligatoire. 

Les écoles sont le miroir de notre société dans son ensemble ; ce que nous souhaitons pour nos écoles montre clairement ce que nous valorisons dans notre communauté et à qui nous accordons de l’importance. Par exemple, l’idée prussienne de la finalité d’une école – former le bon peuple pour le service de l’État – semble étrangère à la démocratie libérale actuelle. Voici ce que promeuvent les slogans en vogue : acquérir des compétences commercialisables et réaliser son plein potentiel.

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Ces slogans reflètent deux notions principales. Premièrement : l’école doit préparer l’enfant au marché du travail : l’objectif c'est la réussite des élèves afin de les préparer à prendre les premières places dans la course mondiale à la compétitivité. Deuxièmement : l’école doit aider l’enfant à devenir un individualiste épanoui – un « leader et un catalyseur », « habilité » à « poursuivre sa passion ».

Ces idées façonnent puissamment notre culture, notamment grâce à leur influence sur la vision du monde à la sauce Silicon Valley, qui nous imprègne tous. Les deux se résument, en fin de compte, à la poursuite de la valeur suprême : la réussite individuelle dans un monde concurrentiel. Ce qui n’est pas dit, c’est que ce genre de réussite s’acquiert aux dépens de quelqu’un d’autre. Par définition, il est impossible de se retrouver tous au-dessus de la moyenne. On a beau invoquer créativité et diversité, le credo de la méritocratie à l’ère technologique s’avère aussi funeste qu’impitoyable pour la plus grande partie de l’humanité.

Heureusement, ces idées n’ont pas le monopole des esprits, comme nous le rappelle le nouveau livre, si inspirant, d’Alan Jacobs. Dans son ouvrage, The Year of Our Lord 1943, Jacobs décrit comment, pendant la Seconde Guerre mondiale, un réseau de penseurs chrétiens, dont Simone Weil, C. S. Lewis et Jacques Maritain, a imaginé à quoi devrait ressembler la société d’après-guerre. Ils se sont surtout intéressés à l’école.

L’un d'eux, le poète W. H. Auden, était instituteur. Dans son exposé de 1943 intitulé « Vocation et société », il exhorte ses collègues éducateurs à se concentrer sur la dimension spirituelle de l’éducation. Il s’agit d’aider les élèves à découvrir leur vocation – tâche déterminante pour la vie de tout homme ; et chacun sait qu’on ne peut en faire l’impasse, même au prix de quelques souffrances. La plupart des gens, obnubilés par la réussite matérielle et la fièvre acheteuse, passent à côté de leur vocation, toute leur vie. Or, affirme Auden, les éducateurs doivent faire en sorte « qu’il soit simplement normal, et non plus exceptionnel, qu’un élève trouve sa vocation ».

Dans la tradition chrétienne, vivre en disciple est aussi une école. Dans cette communauté éducative, sous l’instruction de notre seul Maître, nous apprenons non pas à atteindre notre autonomisation, mais à trouver notre force dans la faiblesse ; non pas à dépasser les autres, mais à les servir ; non à poursuivre notre passion, mais à obéir à un appel.