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    Eberhard Arnold

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    Né à Königsberg le 26 juillet 1883, Eberhard Arnold était le troisième fils de Carl Franklin Arnold, professeur de lycée. Sa mère, Elizabeth Arnold, née Voigt, descendait d'une ancienne famille lettrée. Son grand-père du côté paternel, Franklin Luther Arnold, de descendance anglaise et américaine, pasteur d'une église presbytérienne aux États Unis, était missionnaire.  Voir la biographie complète

    Eberhard avait un frère et trois sœurs. Il avait cinq ans, lorsque la famille quitta Königsberg, son père ayant été nommé professeur d'histoire de l'Église à Breslau.

    Eberhard était un jeune garçon qui aimait les escapades et les aventures, et l'école fut quelque peu négligée. En raison de ses espiègleries il n'était pas toujours très bien vu de ses professeurs et des parents de ses camarades de classe. Dès son plus jeune âge il s'indigna de l'inégalité sociale et se lia d'amitié avec les plus pauvres, en particulier avec les vagabonds. Il trouvait avec eux plus d'affection et d'humanité que parmi la bourgeoisie. En vacances chez son oncle, pasteur à la campagne, il fut très impressionné par l'enthousiasme et la chaleur religieuse de cet homme qui prenait le parti des pauvres et des opprimés, ce qui lui valut l'hostilité des paroissiens riches.

    C'est chez cet oncle qu'Eberhard rencontra pour la première fois un représentant de l'Armée du Salut. La façon fraternelle dont son oncle parlait avec cet homme indiqua à Eberhard la voie d'un véritable amour chrétien qui se manifeste précisément dans la compassion envers les pauvres. Cette expérience provoqua en Eberhard, qui avait alors seize ans, un changement intérieur radical. Il confia à ses parents et à ses professeurs que sa vie allait désormais prendre une direction tout à fait différente, mais ils ne le comprirent pas.

    Dans sa recherche d'âmes sœurs, Eberhard se mit en rapport avec plusieurs groupes éveillés à Jésus-Christ. Un groupe de camarades de classe qui essayaient d'acquérir, à l'aide de la Bible, une meilleure connaissance du chemin de la croix, se rassembla autour de lui. L'Armée du Salut l'ayant fortement impressionné, il suivit ces personnes dévouées jusque dans les lieux les plus obscurs de Breslau, désirant ardemment libérer les hommes de l'alcool et de la misère. Matin et soir, il accompagnait à son travail quotidien un buveur qui devait passer devant un bistro. Bouleversé par la misère des pauvres dans le quartier de l'Est de Breslau, Eberhard trouva la vie bourgeoise de ses parents de moins en moins supportable. Pensant à cette misère, il refusa un jour de participer à une fête mondaine, car il trouvait très mal de dépenser tant d'argent pour régaler des personnes aisées. Alors son père le punit en l'enfermant dans sa chambre. Ses parents n'étaient pas du tout d'accord avec ses nouvelles activités et son attitude face aux questions sociales.

    Lorsque Eberhard eut fini ses études secondaires, ses parents exigèrent qu'il étudie la théologie, alors que lui se serait senti plus utile au service des hommes en tant que médecin. Il fit ses études de théologie, philosophie et pédagogie à Breslau, Halle et Erlangen et termina ses années universitaires en publiant une thèse de doctorat sur Les éléments paléochrétiens et antichrétiens dans l'évolution de Friedrich Nietzsche.

    Pendant son séjour à Halle, il était entré en relations étroites avec l'association des étudiants chrétiens allemands et avait travaillé pendant plusieurs années avec Ludwig von Gerdtell. Tous deux prirent part au mouvement de réveil chrétien qui, à l'époque, avait saisi de nombreux cercles.

    C'est à cette période que nous avons fait connaissance, en 1907. Après quelques entretiens très sérieux à propos de ce qu'il faut faire pour être un disciple de Jésus Christ, nous nous sommes fiancés, alors que nous ne nous connaissions que depuis quelques jours. À partir de ce moment, nous avons suivi ensemble le même chemin. Notre mariage a eu lieu en 1909.

    Durant les premières années de notre mariage, Eberhard fut très souvent appelé à donner des conférences. Il parla dans plusieurs villes allemandes ainsi que Halle, Leipzig, Berlin, Dresden et Hambourg en traitant les questions qui préoccupaient alors les gens: "L'Église primitive et le présent", "La misère sociale", "La liberté pour chacun", "La détresse et l'esclavage des masses", "Les luttes religieuses du temps présent", "La vraie personnalité de Jésus Christ", "Nietzsche et sa critique du christianisme".

    C'est alors que commença le conflit d'Eberhard avec l'Église nationale, avant tout à propos de la question du baptême. Eberhard reconnut que l'Église en s'alliant à l'État et soutenant la propriété privée faisait fausse route. Cette prise de conscience fut un tournant dans notre vie. Eberhard fut baptisé et quitta l'Église nationale. Par conséquent il ne pouvait y occuper aucune chaire. Stimulé par les écrits du pasteur religieux-socialiste suisse, Hermann Kutter, il s'engagea de plus en plus en faveur du prolétariat et des autres opprimés. Son attitude face à la classe ouvrière et à l'Église nationale lui valut maintes disputes avec ses parents et les autorités religieuses.

    En 1913 une grave maladie des poumons et du larynx força Eberhard à quitter Halle et à s'installer avec sa petite famille dans le Tyrol du Sud, où il loua une petite maison près de Bolzano. Ce fut une période de réflexions qui nous conduisit à une plus grande clarté. C'est là que furent écrits les premiers chapitres du livre intitulé Innenland ainsi que toute une série d'essais importants, tels que "L'amour envers Dieu", "L'amour envers les frères", "Le pouvoir de la prière", "Témoignages de communautés vivantes". Eberhard étudia aussi minutieusement l'histoire anabaptiste. Des personnages tels que Hans Denck, Balthasar Hubmaier et Thomas Muenzer nous impressionnaient déjà beaucoup. Nous étions de plus en plus convaincus que notre vie devait prendre une voie plus active et plus radicale. Ma sœur Else von Hollander vint vivre avec nous et elle prit part très activement à tout ce qui nous préoccupait. Tandis que je soignais Eberhard et m'occupais des enfants, Else aidait Eberhard dans son travail intellectuel. C'est elle qui, la première, partagea notre vie en communauté et elle continua à nous aider jusqu'à sa mort, en 1932.

    Lorsque la première guerre mondiale éclata en 1914, Eberhard fut enrôlé et servit pendant quelques semaines comme cocher de train des équipages en Allemagne de l'Est. Bientôt il fut réformé à cause de sa santé déficiente. À partir de ce moment-là, la question militaire le préoccupa sans cesse, et cela dura quelque temps avant qu'il ne l'eut complètement résolue. Nous demeurâmes un certain temps à Halle, jusqu'au moment où Eberhard fut appelé à Berlin, en 1915, pour assumer la direction littéraire de la maison d'édition Die Furche (le Sillon). Notre famille continua à demeurer à Berlin jusqu'en 1920. Die Furche éditait une revue du même nom ainsi qu'une série de livres et de reproductions d'œuvres d'art mises au service des prisonniers de guerre. Eberhard fut bouleversé par ce qu'il voyait lors de ses fréquentes visites dans les hôpitaux militaires, et il s'opposa de plus en plus à l'esprit de guerre.

    À partir de 1919 il y eut un courant de vie nouvelle venant de tous côtés. Pendant les journées de Pentecôte, cette année-là, Eberhard parla à Marbourg aux membres de l'association d'étudiants allemands chrétiens. La parole de Jésus devint vivante pour l'assemblée et montra dans le Sermon sur la montagne une solution parfaitement claire aux problèmes de la guerre et de l'injustice sociale.

    Dans son rapport sur cette conférence de Pentecôte, Erwin Wissman écrivit dans Die Furche: « Le point de mire de toutes les paroles et pensées fut le Sermon sur la Montagne de Jésus. Eberhard l'imprima dans nos cœurs avec une profonde ferveur, il le martela dans notre volonté avec un pouvoir prophétique et avec l'élan extraordinaire de toute sa personnalité. C'était le Sermon sur la Montagne dans toute sa vigueur, sa vérité absolue. Là, aucun compromis n'était possible. Celui qui veut appartenir à ce Royaume doit viser l'ensemble et continuer jusqu'au bout. Être chrétien, c'est vivre la vie du Christ. Il est impossible de ne pas entendre cet appel provocateur, d'une part appel vibrant à aimer, d'autre part menaçant: “Tous ceux qui prendront l'épée, périront par l'épée.” Nouvelle révolution spirituelle? Cela dépend de nous. À nous d'accomplir les œuvres de Jésus, dans son Esprit, afin d'aider notre prochain physiquement et spirituellement. C'est le seul chemin que les chrétiens puissent suivre comme envoyés du Royaume de Dieu et comme avant-garde de la seule politique possible et nécessaire: la politique de la christocratie.

    Cette conférence à Marbourg fut le point de départ. C'est là que nous eûmes la vision de ce qui se réalisa par la suite. Les fruits devinrent de plus en plus visibles, à tel point que la vie elle-même prit des formes nouvelles. Cela commença par des discussions lors de soirées organisées dans notre maison à Berlin. Souvent, une centaine de personnes de cercles très différents y participaient: (des membres du mouvement de la jeunesse, ouvriers, étudiants, officiers, athées, piétistes, représentants du mouvement revivaliste, anarchistes, quakers). La question qui brûlait dans nos cœurs était: "Que devons-nous faire?" Le Sermon sur la Montagne était au centre de la discussion. Tout le monde le savait: Notre vie devait changer. Il fallait enfin passer aux actes. Plus de paroles! Nous voulons enfin voir des actes!

    Notre attitude radicale souleva beaucoup de controverses au sein de la direction du « Furche » et de l'association des étudiants chrétiens allemands. Dans plusieurs conférences, comme à celle de Bad Oeyenhausen et de Saarow, les débats continuèrent sur des questions cruciales telles que: quelle est l'attitude chrétienne envers la guerre et la révolution? Un chrétien peut-il être soldat? Eberhard y répondait par un 'non' résolu.

    Un rapport sur ces conférences mentionne ceci: Eberhard Arnold admettait la nécessité de la conversion personnelle, mais il déclarait que l'éthique de Jésus, tout en reconnaissant le pouvoir de l'État, désignait le Royaume de Dieu comme tout à fait différent. Le chrétien prend constamment une position corrective à l'intérieur de l'État, provoquant un réveil de la conscience et renforçant la volonté de justice. Il doit être le levain, c'est-à-dire un corps étranger dans le sens d'une valeur supérieure. Mais tant que l'État emploie la force, le chrétien doit refuser de coopérer. Il ne peut donc être ni soldat, ni bourreau, ni préfet de police. Nous sommes tenus de témoigner par la parole et par nos actes, que la parole de Dieu est inaliénable. L'exigence est toujours absolue: "Il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes". Nous nous considérons ici-bas comme un correctif de la norme.

    Il fallait donc chercher des chemins nouveaux. Nous répondîmes à un appel de nos amis du "Nouveau Travail", un groupe de socialistes religieux, et à une injonction de retourner à l'Église primitive qui nous parvint de Schlüchtern. Tout d'abord nous organisâmes avec quelques amis une conférence pendant les journées de Pentecôte à Schlüchtern. Environ 200 personnes, jeunes pour la plupart, vinrent de toutes les régions de l'Allemagne, avec le désir ardent de trouver une réponse à la question brûlante: "que devons-nous faire?" Comment trouver la véritable humanité, la vraie liberté, une vie de réel dévouement? Influencés par ce que nous avions vu au Habertshof, une colonie de la Jeunesse libre allemande (Freideutsche Jugend), nous eûmes la certitude que notre voie devait être celle d'une vie en communauté fraternelle. Nous le savions bien: la propriété privée est une des causes néfastes de la guerre, et en général de la vie erronée des hommes.

    Mais où commencer? En ville ou à la campagne? Quel est le meilleur moyen de prévenir la misère des masses? La réponse de nos amis de la classe ouvrière fut: Allez à la campagne! Dès le début, il était clair qu'une vie en communauté devait être une vie de pauvreté volontaire, d'unité de foi, de communauté de biens et de travail commun. Ce furent surtout les ouvrages de Gustav Landauer qui nous déterminèrent.

    En été 1920, nous louâmes trois petites chambres dans une auberge du village de Sannerz [préfecture de Schlüchtern]. Personne parmi nous ne pensait établir une communauté basée sur une nouvelle philosophie; nous voulions simplement mettre en pratique ce dont nous étions convaincus, avec tous ceux qui voulaient nous aider. À cette époque-là nous n'étions que sept adultes et cinq enfants. Dès le début, ce petit cercle reçut de nombreux visiteurs qui arrivaient si souvent à l'improviste que nous citions volontiers ces vers: "Dix étaient invités, vingt sont venus; ajoute de l'eau à la soupe et ils seront les bienvenus".

    Nous eûmes maintes discussions avec nos amis, à la recherche de solutions aux problèmes qui nous préoccupaient tous. Souvent les discussions se prolongeaient tard dans la nuit et après de tels démêlés nous éprouvions un profond sentiment de camaraderie. Ces quelques extraits d'un exposé d'Eberhard Arnold sur "L'essence de notre devenir" sont la meilleure illustration de ce qui n'avait pas été fondé par des hommes et n'était même pas issu de la volonté de quelques individus, mais avait été établi par l'Esprit, ce qui seul pouvait assurer sa durée:

    "Un commencement de vie communautaire dépend de la situation et de l'atmosphère intérieures. Les premiers temps à Sannerz furent marqués par un flot de mouvements spirituels autour de nous. Une certaine direction du vent gonflait les voiles des navires partants et les emportaient vers une destination bien déterminée. C'était comme si le courant des événements extérieurs entrait chez nous pour trouver son apogée, sa cristallisation et devenir un vrai tourbillon de forces immenses au sein de notre vie communautaire. Il se pouvait qu'une personne passe une semaine avec nous à Sannerz sans se rendre compte de l'essentiel. Seul celui qui pouvait sonder le cœur humain et avait une vision des choses profondes, devait voir qu'il s'agissait là d'une mission spirituelle de l'Évangile et de l'Église de Jésus Christ, d'une station missionnaire au centre de l'Allemagne et de l'Europe centrale, païennes, et pourtant visitées de Dieu. Le Saint-Esprit était à l'œuvre parmi nous tous dans nos rencontres devant la face de Dieu. Une puissance qui ne provenait ni de nous-mêmes, ni de nos visiteurs, mais de Dieu lui-même se répandit dans toutes les pièces de Sannerz et du Rhön-Bruderhof des premiers temps. Cette puissance était semblable à un fluide invisible autour de nous, comparable à ce qui se passa à Pentecôte, lorsque le vent de l'Esprit vint souffler sur l'Église primitive, qui était dans l'expectative. Ce merveilleux mystère donna naissance à la communauté. En effet, aucune volonté individuelle n'aurait pu se faire valoir, pas plus que les propos de soi-disant dirigeants ou ceux d'une soi-disant opposition. Une voix d'en haut parle et l'homme se tait. Ceci ne signifie nullement que seuls ceux qui se disent chrétiens, déclarent être convertis et nés de nouveau, sont touchés par cet Esprit. Bien au contraire: nous avons vu maintes fois le Christ se révéler en ceux qui se déclaraient incrédules. Le Christ visite tous les hommes bien avant qu'ils soient unis avec Lui. Nous pressentons que la lumière du Christ atteint chaque être humain né dans ce monde."

    En 1922, il y eut beaucoup de changements. Un grand nombre de nos amis retournèrent à leur vie antérieure. Désillusionnés, ils pensaient que l'homme d'aujourd'hui était trop individualiste et de ce fait incapable de vivre en communauté. L'appel que nous avions reçu était si net, que nous ne pouvions pas faire autrement, bien que nous nous sachions faibles. Seules sept personnes osèrent continuer, tandis que toutes les autres partirent. Objectivement la seule raison de la séparation fut la question du rapport entre la foi et le raisonnement purement économique. Au sujet de cette crise et de ce nouveau départ, Eberhard s'exprima ainsi dans une discussion:

    Lorsque nous entendîmes ce premier appel, nous sûmes que c'était l'Esprit de Jésus qui nous poussait à vivre en communauté totale, dans une communauté solidaire, mais aux portes ouvertes et aux cœurs ouverts à tous les hommes. La parole de Jésus, gage de la réalité de sa vie et de son Esprit, nous donna la force d'emprunter ce chemin et de le continuer jusqu'au bout, même si c'était à petits pas. À peine avions-nous fait quelques pas que nous dûmes déjà faire face à des rudes épreuves; des amis qui nous étaient très chers se détournèrent de nous à tel point qu'ils devinrent les ennemis de la cause, s'étant eux-mêmes détournés de la liberté et de l'unité parce qu'ils voulaient retourner à la vie bourgeoise et l'existence individuelle fondée sur l'argent privé. Le mouvement souffrit de l'asservissement aux influences capitalistes et à la vie professionnelle.

    Toutefois, malgré la perte de nos amis et bien que des groupes entiers eurent déserté le drapeau de l'unité et de la liberté, bien que des amis bienveillants nous eurent prévenus que notre chemin aboutirait à la ruine complète – cela n'y changeait rien: Il nous fallait absolument poursuivre notre voie avec nos propres enfants et les enfants qui nous avaient été confiés, afin d'atteindre notre but.

    Matériellement ce nouveau commencement fut aussi difficile que le début deux ans auparavant. Remplis de gratitude et de courage, bien qu'un peu hésitants, nous nous mîmes donc au travail. Nous étions maintenant installés dans une maison plus grande à Sannerz; peu à peu la communauté s'accrût et nos tâches augmentèrent. Au cours de ces années nous nous consacrâmes surtout à la publication et à l'éducation d'enfants non-privilégiés qui grandissaient aux côtés de nos propres enfants. La ferme et le jardin prirent aussi une place de plus en plus importante. Bientôt Sannerz fut trop petit et nous cherchâmes un autre lieu d'habitation. En 1926 nous achetâmes pour une petite somme le Sparhof, une ferme assez pauvre et quelque peu déteriorée, dans le district de Fulda. En 1927 nous étions enfin installés, et nous pouvions continuer à construire la vie communautaire, avec la grande différence d'avoir désormais un emplacement qui appartenait vraiment à la communauté. Nous considérions notre travail et toutes nos activités comme un symbole de l'Église de Dieu. Nous pûmes à nouveau nous occuper des enfants, de nos hôtes et des pauvres et aussi reprendre et développer notre travail dans le jardin, la ferme, la construction, l'artisanat et la publication de nos livres.

    La communauté des frères assumait toute la responsabilité spirituelle et matérielle, et les différents départements de travail étaient assignés aux frères et sœurs. Durant ces années, la principale tâche d'Eberhard fut de stimuler, d'approfondir et de clarifier la vie de cette 'communauté de travail, sociopédagogique'. Le groupe grandissait constamment. Des jeunes gens venaient nous rejoindre et mettaient toute leur énergie au service de la communauté. Bientôt ces jeunes purent endosser la responsabilité de certains travaux.

    Au cours de ces années, Eberhard donna des conférences dans différentes villes d'Allemagne, d'Autriche et de Suisse, et il prit part activement aux conférences de groupes semblables au nôtre. Son livre Die Ersten Christen nach dem Tode der Apostel (Les Premiers Chrétiens après la mort des Apôtres) paru en 1926; ce livre exprimait la puissance de l'Esprit qui avait animé l'Église primitive chrétienne et joué un rôle fondamental dans l'établissement de la communauté du Bruderhof (foyer des frères). Eberhard dédicaça ce livre à ses parents, malgré les désaccords du passé, en reconnaissance de la stimulation reçue et de leur compréhension grandissante pour la vie que nous avions choisie.

    Eberhard se chargea de l'éducation des enfants et de leur instruction scolaire. Il avait un profond respect pour les enfants et il savait que les adultes avaient beaucoup à apprendre d'eux. En tant que professeur il sut éveiller leur intérêt pour l'histoire de l'humanité, le passé, le présent et l'avenir. Petits et grands prenaient part aux travaux champêtres, particulièrement à la saison des semailles et de la récolte. Il y avait beaucoup de travail, et le fait de travailler tous ensemble était une expérience importante pour notre vie en communauté, en particulier aussi pour nos hôtes. Le jour était consacré au travail et les soirées aux discussions. Nous essayions aussi de joindre les paysans du voisinage. Le soir il nous arrivait de nous asseoir sous le tilleul du village pour chanter ensemble nos belles chansons folkloriques. Puis Eberhard lisait une histoire ou une légende; les paysans nous apportaient du pain, des saucisses et des œufs et prenaient part à notre rencontre. De temps en temps nous jouions quelque pièce de théâtre dans les villages voisins, essayant ainsi de leur apporter un message simple et direct, ou bien nous faisions de longues promenades sous un ciel étoilé et nous nous assemblions dans la cave voûtée des ancêtres de Hutten, au château de « Steckelsburg ». Là, auprès d'un feu crépitant, Eberhard nous racontait des temps d'Ulrich von Hutten: `Quel plaisir de vivre! Les esprits s'éveillent!...' Ensuite nous formions une longue chaîne nous tenant par la main en revenant dans l'obscurité.

    Comme le groupe s'agrandissait sans cesse, nous étions constamment occupés à bâtir, les premières années souvent sans les fonds nécessaires. Eberhard s'intéressait beaucoup aux plans de construction, car les maisons habitées en commun devaient exprimer l'esprit qui nous inspirait: la simplicité de l'aspect extérieur, ce qui d'ailleurs n'empêchait pas les couleurs vives des appartements, couleurs variées telles qu'on les trouve dans la nature.

    Le travail artisanal eut toujours une place importante dans la communauté. Chaque chandelier, chaque écuelle était examinée et sa forme décidée en commun. Eberhard avait maintes fois représenté que ces objets, dans la simplicité de leur forme, devraient être un témoignage du sentiment de la communauté.

    Plus tard la maison d'édition eut sa propre imprimerie. Eberhard accordait une grande importance à la beauté et la qualité de la mise en pages et de la reliure. Chaque lettre, article ou livre, était soumis à toute la communauté. Les manuscrits étaient lus et discutés lors des travaux en commun tels que le triage des pommes de terre. De cette façon, tous les membres de la communauté acquéraient une connaissance précise des livres que nous publiions, tels que Die ersten Christen (Les Premiers Chrétiens), Franz von Assisi (Saint François d'Assise), Novalis, Zinzendorf ou un nouveau volume de ces publications intitulées Quellen (Sources) ou une réédition de Innenland. Nos hôtes étaient pleinement intégrés au travail en commun.

    Le matin nous nous réunissions en silence. Nos repas étaient pour nous un symbole du futur royaume de justice, d'amour, et de paix. La nourriture était toujours simple, souvent maigre, mais dans la belle salle à manger boisée avec son lustre à sept branches il régnait une atmosphère respectueuse et pieuse. Les soirs d'été, réunis avec nos amis et nos collaborateurs sous le grand hêtre sur la colline, nous recherchions la vraie libération de l'individu, la vraie communauté, la vraie paix et la justice. Souvent, nous expérimentions ainsi ce qu'était la vie fondée sur l'amour de Jésus et nous éprouvions un profond sentiment de communion fraternelle qui, pour plus d'un, fut déterminant pour toute la vie.

    Dans nos réunions, Eberhard s'efforçait de nous mettre en rapports vivant avec les mouvements spirituels les plus importants. Le groupe entier s'occupait par exemple de l'origine des Quakers et des Anabaptistes du seizième siècle et plus particulièrement de l'origine des communautés huttériennes en Moravie, mouvement animé du même esprit que celui qui nous avait réuni. Les milliers de martyrs qui avaient scellé de leur sang une vie engagée à la suite du Christ fortifièrent notre foi, car nous étions conscients de ne pas avoir encore persévéré jusqu'au bout. Lorsque nous apprîmes qu'il y avait encore des communautés huttériennes en Amérique, nous les contactâmes et une correspondance animée s'ensuivit. Nous n'avions jamais voulu former un groupe indépendant, mais au contraire toujours espéré nous unir avec d'autres mouvements dirigés par l'Esprit. Voilà pourquoi, en 1930, Eberhard nous quitta pour aller en Amérique du Nord où il resta presqu'une année, visitant toutes les communautés huttériennes. Ce mouvement existait depuis 400 ans, et bien qu'il y eût entre nous quelques différences nous nous rattachâmes à eux, car ils représentaient le groupe le plus proche des premiers chrétiens.

    Quand Eberhard revint d'Amérique, nous vécûmes une période de croissance intense, intérieure et extérieure. Parmi ceux qui nous rejoignirent, il y avait un grand nombre de Suisses, d'Anglais, de Suédois et d'Allemands, ainsi que de personnes qui, ayant vécu dans d'autres groupes, étaient comme nous à la recherche de l'unité.

    C'est à cette époque qu'arrivèrent des personnes venues du Werkhof (une communauté suisse près de Zürich), et d'autres personnes d'une communauté près d'Eisenach. Les années suivantes, d'autres groupes semblables se joignirent à nous.

    En ce temps-là, nous avions souvent de vives discussions avec nos hôtes, car en Allemagne l'esprit national-socialiste se propageait de plus en plus. Lorsque Hitler accéda au pouvoir en 1933, la Gestapo (la police secrète allemande) se saisit bientôt du Bruderhof et ferma notre école. On nous défendit de recevoir des hôtes; notre travail social et la vente de nos livres devint pratiquement impossibles. Pendant l'incursion, chaque membre, en particulier Eberhard, qui en raison d'une jambe fracturée devait rester couché, fut minutieusement interrogé; en partant, le détachement emporta une auto pleine de livres et de papiers confisqués.

    On nous fit savoir qu'une école d'État dirigée par un instituteur national-socialiste serait établie au Bruderhof. Nous décidâmes d'envoyer immédiatement les écoliers – ils étaient alors une vingtaine – en Suisse. Lorsque le maître d'école arriva au Bruderhof, il ne trouva plus d'enfants. Tous nos jeunes frères partirent aussi pour la Suisse.

    Eberhard et moi nous nous mîmes alors à chercher un autre lieu d'habitation, et nous l'avons trouvé dans la Principauté de Liechtenstein, près de la Suisse. Là nous louâmes un hôtel d'été vacant à Silum, un alpage à 1500 mètres d'altitude. C'était une entreprise hasardeuse, car les moyens nous manquaient pour établir une nouvelle communauté. Cependant l'aide arriva au moment même où nous en avions le plus besoin. Au mois de mars 1934, les enfants et les jeunes gens atteignirent le Liechtenstein par des routes différentes. Après l'arrivée de plusieurs familles du Rhön Bruderhof, l'Alm Bruderhof fut établi. Les mois suivants, nous fîmes souvent des trajets entre les deux communautés, ne sachant jamais si nous allions revenir car les temps étaient dangereux et mainte personne aurait pu être arrêtée et conduite dans des camps de concentration.

    Au printemps 1935 le réarmement de l'Allemagne nous posa un sérieux problème: Est-ce que nos frères, aptes au service militaire, devraient rester en Allemagne pour témoigner contre la guerre et l'esprit militariste, ou devraient-ils plutôt consacrer toute leur énergie à l'établissement de la nouvelle communauté au Liechtenstein? Un examen consciencieux de la question par toute la fraternité nous montra que notre témoignage ne consiste pas simplement à refuser de prendre part à la guerre et l'injustice, mais bien plutôt à nous mettre au travail, à construire la paix. Aussi ces jeunes frères vinrent à l'Alm Bruderhof qui compta bientôt une centaine de personnes, adultes et enfants. Leur nombre s'accrût à l'arrivée de nouveaux membres venant principalement d'Angleterre. Au printemps 1935, Eberhard entreprit un voyage et donna une série de conférences en Hollande puis en Angleterre, où il étudia les possibilités d'établir un Bruderhof plus stable, au cas où l'Alm Bruderhof du Liechtenstein ne serait qu'un domicile temporaire.

    Seuls nos membres suisses, anglais et suédois, et quelques-uns de nos membres allemands purent rester en Allemagne, car les difficultés se multipliaient. Dans cette situation inorganique, où les communautés pour des raisons politiques devaient vivre séparées, Eberhard subit une opération, recommandée par un ami médecin dans l'espoir de guérir sa jambe cassée. Eberhard mourut subitement à l'hôpital de Darmstadt, le 22 novembre 1935, des suites de cette opération. Jusqu'au dernier moment il fut le témoin du chemin à suivre, celui d'une vie de fraternité dans la paix et la justice pour le monde entier.

    Quelques jours avant sa mort, Eberhard écrivit ce qui suit:

    Tous les membres du Bruderhof doivent être gagnés pour la grandeur de notre cause. Nous ne remplissons pas encore notre vraie mission, la rechercher dans la prière devient de plus en plus urgent. L'essentiel c'est de croire en Dieu et en sa toute-puissance, à la grandeur de Jésus qui dépasse les limites de l'univers et au futur royaume universel de l'Esprit. Ce n'est que dans ce contexte que le repentir, le pardon, la foi, la certitude et la dévotion ont leur place. C'est à partir de cette grande vision que nous pouvons répondre aux mouvements de notre temps, sans en subir l'influence. C'est mon plus grand désir pour notre avenir, que les communautés du Bruderhof ne deviennent jamais intolérantes et étroites envers la jeunesse, mais au contraire qu'elles aident la jeunesse à trouver la joie d'une vie nouvelle dans la vérité.

    Dieu et son Royaume, voilà ce qu'il y a de plus important. La volonté de Dieu est incomparable. C'est là que tout reçoit son vrai sens. Que la vie de l'individu en elle-même est insignifiante, combien petite est la vie de famille, le père, la mère et les enfants unis par les liens du sang, combien petit le cercle d'amis unis par la sympathie réciproque, et enfin combien petit le Bruderhof avec tous ses membres! Mais combien grand sont Dieu et son Royaume! Combien grande, encore l'heure de Dieu, du jugement, et l'heure du Christ – de la rédemption à venir. Combien il est urgent pour nous d'être embrasés d'un désir ardent de connaître la profondeur de ces choses et d'y prendre part, fervents dans l'attente du jour qui apportera la liberté et l'unité!

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