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    Le Moineau

    par Jane Tyson Clement

    jeudi, le 24 septembre 2015

    Autres langues: Deutsch, English

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    C'était en plein été. Sur les collines les groseilliers montraient leurs branches nues, que les enfants avaient déjà dépouillé, et ici et là quelque grappe pendait encore, négligée sous les feuilles. Dans le bois, il y a longtemps que les fougères s'étaient déroulées, et se relevaient, légères et gracieuses. La verdure vif de l'été était maintenant devenu brumeux dans les champs et les haies, à cause du violet et du jaune du phlox, du lin et carotte sauvage. Les haies grouillaient avec les abeilles des buissons en fleur, et les petits oiseaux insouciants, qui avaient déjà leurs petits oiselets. La route au village de Dunières était poussiéreuse, allant au travers des près, faisant une courbe sur une petite colline, passant sur un pont de pierre, le long de la vallée vers le bois, jusqu'aux maisonnettes, magasins, et de l'auberge de l'autre côté.

    Justement, ce côté du bois, situé dans un lieu un peu écarté, vivait Gilles, le charretier. Sa demeure semblait solide bien que quelque peu terne, morne, les fenêtres encadrées de rideaux sans couleur, le jardin enlaidi par une roue brisée, rejetée dans une plate-bande. Gilles était employé par le charretier de ce quartier, l'artisan le plus prospère du quartier. Gilles avait du talent, son travail valait la peine, quand il allait bien et qu'il pouvait travailler, mais ce n'était pas toujours facile d'avoir à faire avec lui. Sa femme, Prudence, balayait et nettoyait, à la fois boulangère et couturière, le surveillait craintivement, et se courbait sous le poids du découragement.

    John Constable, <em>A Cottage in a Cornfield</em> (detail)

    John Constable, A Cottage in a Cornfield (detail)

    Son maître était pieux, avec un banc à l'Église et aucun vice, de sa façon, un brave homme. Cependant, manquant de vigueur, et aussi froid qu'une pierre, et ceux qui travaillaient pour lui se conformaient, mais retournaient chez eux, la poche vide. Il gardait Gilles à son service, car celui-ci était qualifié, et en valait la peine, quand il pouvait travailler. En d'autres temps, Gilles sortait de l'auberge avec raideur, le visage obscurci, et marchait de par le village, mal assuré, et chancelant; et alors, on le voyait pendant plus d'une semaine, ici et là, vagabonder sans but, ou bien, comme engourdi, en stupeur, auprès de la rivière, et il jurait contre tous ceux qui l'approchait. Tandis que personne ne l'approchait, même en son bon temps, tous le fuyaient pendant ses crises, et même Perrine, la figure pincée, dévastée, plaçait son assiette sur une pierre au seuil de l'entrée, comme s'il s'agissait d'un chien féroce, et elle attendait qu'il vienne la chercher.

    Tandis que ce soit généralement l'insensibilité qui soit la cause du manque d'amour, et aussi le fait de trop bien s'adapter au monde, avec Gilles c'était plutôt la flamme sombre de cette tristesse amère qui le rongeait; et tous ceux qui l'approchaient semblaient se heurter contre des épines, ou des orties. On disait de lui, que ce soit probablement quelque mal du passé qui le hantait; ou que le temps, lorsque tous ses enfants moururent d'une fièvre étouffante, l'avait affaibli; mais, on ne l'avait jamais vu au cimetière, parmi ces petits tombeaux, et il n'en parlait jamais. A moins d'avoir trop bu, il ne parlait que rarement. C'était comme s'il vivait loin des autres personnes, des naissances et des morts, de l'amitié et de l'amour, des foyers en hiver, des bouquets de fleurs des tout-petits, des chants de camaraderie, des veilles ensemble, du travail en commun, de tout ce qui fait le partage humain. Il vivait de même, éloigné de toute mesquinerie; il ne s'abaissait pas, en essayant de gagner un sou de plus que son travail ne lui apportait; ce que pensaient les autres, lui était égal; il avait peu de besoins; il ne cherchait jamais, même quand il avait trop bu, à faire du mal. Cependant, tous, qu'ils soient bons ou mauvais, riches ou pauvres, étaient mis de l'autre côté d'une porte fermée. Il tolérait sa femme, tout comme le verre dont il se servait pour boire, et le lit sur lequel il dormait. Et son coup d'œil, en levant la main semblait si menaçant d'amertume que l'on se sentait comme déjà frappé. Il méprisait la foi, et Perrine l'avait même entendu jurer contre Dieu.

    Ces années de misère étaient devenues tellement lourdes de misère que Perrine ne se souvenait à peine des premiers temps : Il était, alors, un grand garçon, les cheveux noirs, l'air morose. Il avait quitté la ville alors qu'il était l'apprenti du père de Perrine, disant seulement, qu'il n'avait pas de famille. Perrine était, elle-même, une jeune fille, plutôt petite, le cœur tendre, disposée à aider et réconforter, n'aimant pas la confiance audacieuse des garçons de sa connaissance. Son père l'avait prévenue et refusait de l'aider, à lui, sentant un certain danger en lui. Mais elle eut pitié de sa solitude, et elle voulut le rendre plus gai, la voix plus joyeuse. Et ainsi, ils s'étaient mariés, ils avaient recherché du travail à Dunières, et d'une façon ou d'une autre, tous ses espoirs flétrirent. Quand ses propres petits enfants moururent, elle ne put pas l'aider, tous deux en leur tristesse, et leur morosité a renvoyé l'amitié des autres gens.

    Quand l'été fut revenu, embaumant l'air avec le parfum et le son du beau temps, adoucissant le paysage, emplissant les jours de travail dans les champs, et avec les troupeaux, le cœur de Perrine se remit un peu. Elle commença à lever les yeux sur la route, quand quelqu'un passait, avec un tremblement du cœur, dont elle ne savait pas l'origine. Ou, elle s'arrêtait de remuer la sauce, pour rêver, au seuil de la porte. Mais Gilles hivernait en son cœur en toutes saisons, et plus la terre s'embellissait, plus ses crises étaient fréquentes.

    John Constable, <em>A Lane near Dedham</em> (detail)

    John Constable, A Lane near Dedham (detail)

    Cet été, comme avant, Perrine s'était mise à rêver. De l'espoir en son cœur. Pendant ses courses au village, elle sondait chaque visage, comme si elle recherchait quelqu'un. Elle cherchait un signe d'amitié, mais le stigmate de Gilles lui pesait trop lourd. Elle apporta même une volaille, récemment tuée, à une personne malade, de l'autre côté de la forêt, mais la grande surprise et l'embarras de cette femme lui a fait peur. Ceci semble leur être bien égal! a-t-elle pensé. Même si je donnais tout ce que je possède, ce leur serait parfaitement égal. Les hommes sont durs. Seule la terre est pure. Et elle pleura un peu, à cause de sa fatigue, et son manque d'espoir.

    Elle s'était éveillée ce matin-là avant l'aube, avec cet ancien tremblement d'espoir en elle, comme le premier mouvement d'un enfant à naître. Agitée, elle s'était levée, et elle se penchait à la fenêtre, observant le ciel s'emplir lentement de lumière, la courbe de la route blanche, et l'obscurité de la forêt s'éloigner. De s'éveiller avant l'aube et d'observer la venue du jour, rendait cette journée un véritable bijou, en sa main. Maintenant, en plein jour, agenouillée dans la broussaille, le soleil chaud sur son dos, les doigts tâchés, le cœur meurtrit, et le miracle de l'attente de l'aube, presque disparu. Gilles s'était éveillé de très mauvaise humeur, et sans même toucher son petit-déjeuner, était reparti à son travail; son regard l'avait écœurée, a la fois de pitié, et de peur. Maintenant, malgré toutes ces années passées, ainsi, les larmes inondaient son visage, tombant sur le feuillage; et elle fut surprise de ce que, même maintenant, encore, une petite flamme d'espoir brûlait encore, cette lueur d'espoir qui soit à la fois sa douleur et sa seule joie. Elle se demandait ce que ceci voulait dire, que cet espoir refusait d'être éteint. En quoi espérait-elle? Qu'est-ce qu'elle attendait? Qui attendait-elle? Certainement aucun réconfort humain, aucun changement terrestre.

    Elle se rassit lourdement, écartant les cheveux de son front, consciente d'un nouveau bruit sur la route qui dominait le son familier de la maisonnée. Sur le vieux pont de pierre, venait une troupe d'enfants, un étranger en leur milieu, de grande stature. Ils venaient lentement, écoutant une histoire, de temps en temps éclatant de rire. Elle les reconnaissait à peine, des enfants du village, d'autres, elle ne connaissait pas. Autour d'eux, courraient trois ou quatre chiens, sautant auprès de l'étranger, sans jamais aboyer. Il y avait une certaine lumière, plus claire que celle du soleil, un air joyeux qui rafraichissait et rendait heureux. Perrine s'était agenouillée, paralysée, le cœur ému; elle mit la main sur sa bouche, pour ne pas appeler. Elle sentait devoir les appeler, les retenir, recevoir quelque chose d'eux, ou les rejoindre. Ils s'approchèrent de la barrière, et ils allaient passer outre, quand un jeune garçon quitta l'étranger, se glissa par le portail, et courut vers elle, une gourde à la main. Il s'arrêta devant elle, la figure rayonnante, et dit : « Puis-je puiser de l'eau de votre puits, pour donner à boire, s'il vous plait ? »

    Un peu chancelante, Perrine apporta la gourde au puits, la remplit, et la rapporta au petit garçon. Ils s'étaient tous arrêtés un instant, et l'étranger prit la gourde en ses mains en souriant. Il la regarda au travers des fleurs, le seul bruit venait des abeilles, et du roitelet dans le buisson. L'air était lumineux et tranquille. Perrine échangea le regard, alors que son cœur battait, et que ses mains devenaient humides et ses yeux s'embrumaient. Puis, alors qu'elle le regardait, en transe, il but, pendit la gourde à sa ceinture, et la troupe continua à marcher, en chantant le long de la route, jusqu'au bois... les dernières notes ne se laissaient plus entendre, mais l'éclat...l'éclat n'avait pas disparu!

    En cette nouvelle matinée, la rosée clignotant sur feuille et fleur, Gilles se tenait à la porte, le cœur blessé, non rafraîchi, comme si le temps s'arrêtait en son cœur. La plate-bande de fleurs au portail, avec ses feuilles vibrantes, d'un vert profond, et ses toute petites fleurs roses, était voilée d'une toile d'araignée, sans défaut, et étoilée de gouttes de rosée. En l'observant, il fut frappé de l'inutilité de sa propre vie, de son propre embrouillage, et emmêlement, tandis qu'une petite créature, si simple, pouvait tisser, créer un tel bijou! Lorsque Perrine revint du poulailler, six œufs blancs en son tablier, il était déjà en route, sans même une parole, ou un regard, pour elle, l'air sombre, et sans rien dans l'estomac. Marchant le long du chemin, l'habitude le conduisant à la fabrique, tandis qu'en lui-même des liens de fer se resserraient de plus en plus, et cette humeur noire lui revenait.

    John Constable, <em>The Young Waltonians</em> (detail)

    John Constable, The Young Waltonians (detail)

    Une fois arrivé à son travail, il restait sur le banc, à peine conscient du bruit, et de l'agitation autour de lui. La fabrique s'ouvrait sur la rue, les portes grandes-ouvertes à l'air, et à la lumière, en la chaleur de l'été. De l'autre côté de la rue pavée, il y avait la cour de l'auberge du Pigeon Noir, où les gamins jouaient avec des pierres, dans la poussière. Des colporteurs allaient et venaient, et un vieillard somnolait sur un banc, à l'ombre. L'auberge avait de grandes fenêtres, et les grandes portes étaient ouvertes; un bruit de voix joyeuses de l'intérieur, et la bonne odeur du potage d'haricots, et du rôti, venaient de l'intérieur.

    Comme la chaleur de la journée augmentait, Gilles poussa le banc plus près de l'entrée. A l'arrière de la fabrique, on entendait le bruit des marteaux sur le chariot d'un fermier riche, du voisinage. Gilles travaillaient sur les grandes roues, un petit tas de rayons à son côté, et un tas de bâtons non-ébauchés à côté de lui. Il en prit un, le sécurisa, et son premier coup fendit le bois. Avec un juron, il le rejeta sur le tas d'ordures, et, en même temps, il observa la cour.

    Il avait été vaguement conscient de ce que le bruit autour de lui avait changé. Cependant, maintenant il devint conscient d'une lueur lumineuse et curieuse, comme si le soleil avait changé. Il vit un groupe d'enfants, et il se rendit compte que le bruit venait de leurs voix et de leurs éclats de rire. Ils s'étaient rassemblés autour du banc où le vieillard avait dormi, et s'était, maintenant, éveillé. C'était un étranger, assis là, un tout jeune homme, la figure à moitié cachée par les enfants, mais ses mains larges étaient visibles comme il travaillait à tailler un vieux morceau de bois. Petit à petit, il en sortit un petit canard, lequel, une fois terminé, fut donné à l'enfant le plus déguenillé. Les enfants, ravis, lui offrir un autre morceau de bois, et cette fois-ci, ce fut un petit chien, les oreilles pointues, qui fut de même avidement saisi. Alors qu'il recevait le troisième morceau, Gilles senti le regard de l'étranger sur lui, tel un rayon de soleil, et il se mit de nouveau à travailler, le cœur triste, nuageux. Cette fois-ci, son pouce glissa et il fut blessé. Il jura de nouveau, essuya le sang, et continua de travailler. Mais le bois était abîmé, et il le rejeta encore une fois. Le prochain morceau fut mal scié. Enfin, il réussit et mit celui-ci sur le tas. Il regarda l'étranger, et rencontra ses yeux qui lui percèrent le cœur. Son cœur battait étrangement fort, il laissa tomber son outil, et il sortit en chancelant; il passa l'étranger et les enfants, qui devinrent silencieux à son passage, l'étranger en leur milieu. Avec ses grands pas il atteint le bistrot, et, frappant le zinc, il demanda de la bière.

    Quand il sortit, après une heure, les enfants et l'étranger n'étaient plus là. Légèrement enivré, Gilles regagnait son travail. Une fois là, il s'arrêta, se dressant à la porte. Auprès de son banc de travail, gisait, au lieu des monceaux de bois, un tas bien rangé de rayons parfaits. Les copeaux balayés, et ses outils en ordre. Gilles vit tout ceci, respirant lentement en silence. Puis, en jurant, il se mit à marcher, à travers la ville, sans rentrer chez lui. Même les chiens le fuyaient, et les bonnes femmes claquaient leurs langues avec pitié en le voyant.

    Tard, en l'après-midi, l'ombre des haies s'étendait sur la route; le roitelet et la grive, silencieux en la chaleur, mais quelques moineaux battaient leurs ailes dans la poussière fraîche, où une flaque d'eau avait séché. Gilles, étendu sous un pont depuis plus d'une heure en un sommeil d'ivrogne, éveillé par le bruit des roues sur le pavé, se leva et regagna la route, ne sachant pas où il allait. Il portait un bâton, comme par habitude, et il marchait, tête basse, sans but. Il voulait chasser toute pensée, tout sentiment, ressentir cette vide en soi, sans douleur. Mais cette fois-ci, il n'y réussit pas. Son souvenir des doigts, larges et brûlés, mettant le canard de bois en les mains sales du petit enfant, le tas de rayons près du banc, la clarté de l'air dans la cour. La création qui chantait les louanges de Dieu, le simple acte d'amour attendant sa main; oh, quand avait-il donc sombré ainsi? Quand avait-il pris ce chemin sans retour, ce chemin menant aux bois empoisonnés? Il était bien le paria, l'oublié de Dieu!

    La main levée, il observait le moineau dans la poussière; Le bâton frappa d'un coup dans la poussière, le moineau tomba, un petit tas de plumes; Gilles, observant ce qu'il avait fait.

    Franz Marc, <em>The Dead Sparrow</em> (detail)

    Franz Marc, The Dead Sparrow (detail)

    Puis, le long de la route, sortant de l'ombrage, en un rayon de soleil, il vit venir quelqu'un. Avec un effort il vit que c'était l'étranger; Gilles se cacha dans la haie. Il ne voulait pas bouger, mais il fut forcé de lever la tête, et son cœur battait, le faisant trembler. L'étranger venait, voyant tout ce qui se passait, non pas comme celui qui ne pense qu'à lui-même. Cet air lumineux l'entourait; Gilles se mit à trembler; l'étranger s'approchait, ce fut comme si le temps s'arrêtait en cet instant; L'étranger s'arrêta, les yeux sur le chemin. A ses pieds gisait le moineau; il se courba, prit le moineau en ses mains; et Gilles le vit alors, étendre les mains, et les ouvrir; l'oiseau sautillait sur ses doigts, et s'envola.

    Quand Gilles recouvrit ses sens, il s'assit près de la haie. Il se sentait faible, ne sachant plus rien. Puis, il se leva, et commença à rechercher le moineau mort; mais, il n'était plus là. Il courut le long de la route, et ne vit personne. Respirant lentement, les larmes coulant sur les joues, le cœur libre, l'air lumineux autour de lui, la fraicheur de la soirée se levant des bois. Puis alors, avec un cri de joie, il bondit à travers les champs, prenant le chemin le plus court, pour tout dire à Perrine.

    John Constable, <em>A Hayfield near East Bergholt at Sunset</em> (detail)

    John Constable, A Hayfield near East Bergholt at Sunset (detail)

    ohara koson, three tree sparrows in a rain shower Ohara Koson, Three Tree Sparrows in a rain shower (detail)
    Presenté par JaneTysonClement Jane Tyson Clement

    En tant qu'écrivain et poète, Jane Tyson Clement (1917-2000) a été comparée à Denise Levertov, Wendell Berry et Jane Kenyon. Ses poèmes ont été recueillis dans No One Can Stem the Tide, ainsi que certaines de ses meilleures nouvelles dans The Secret Flower.

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